Marie-Antoinette, Fersen et Barnave : leur correspondance

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grand rapport dont il a été question le plus possible. Je sais que sous le voile de la prudence des personnes, qui cachent peut-être leurs propres intérèts, veulent faire retarder ce rapport, mais plus on prolongera et plus les têtes s'échauffent de tous côtés; elles feront du mal, les unes par mauvaise intention, en propageant des idées fausses, les autres par une bonne volonté mal entendue. Dans une situation aussi tendue, les unes comme les autres l’aggravent et l’on ne pourra bientôt plus contenir l’émigration si la position ne change pas. Le décret passé aujourd'hui pour les émigrants !, quoique plus doux qu’on ne l'avait proposé d’abord, éloignera pourtant du but qu’on s’est proposé. Il me paraît impossible que des personnes éloignées volontairement de leur patrie depuis vingt mois, consentent précisément à entrer en négociation au moment où on leur enlève une grande partie de leur fortune. Voilà comment, je crois, penseront tous ceux qui ont l’âme un peu élevée. Je désire de tout mon cœur me tromper. Quant à Monsieur ?, j'écrirai tout ce qu’on jugera nécessaire pour ramener l’ordre et la tranquillité ici. On m'a parlé aujourd’hui de la personne qu'on désire envoyer. Je crois le choix bon quant au zèle et à la bonne volonté, mais pour l'influence qu'il pourra

1. Ce décret leur accordait un délai pour rentrer en France, passé lequel leurs biens seraient confisqués. 2. Le comte de Provence.