Mémoire sur la Bastille

LINGUET 59

bien, travaillons à les détruire; on m'a reproché de la violence, de la fougue, poussons la douceur et la patience jusqu’à l’excès; tâchons de dissiper les craintes, de désarmer la haine, d’ôter tout prétexte à l’inquiétude. »

En sortant du sépulcre, ces dispositions, mon premier mouvement a été de les confirmer. Lazare nouveau, débarrassé du suaire funèbre qui avoit pendant vingt mois intercepté tous les mouvemens de ma bouche et de mon cœur, c’est la sensibilité, c’est l'amour de la paix, c’est la reconnoissance, que j'ai annoncés. Pendant cinq semaines entières je n'ai cessé de tendre vers ces despotes pusillanimes autant qu’implacables des mains encore meurtries des fers dont ils les avoient si longtemps chargées. Je ne leur demandois que la grâce de m’éprouver, et je n’ai pu l’obtenir ! Ils n’ont osé croire que mes paroles fussent sincères ! Indignes d'apprécier mon cœur, ils ont cru

sité de M. le maréchal de Biron en cette occasion. Il étoit chef du conseil de guerre que la lettre de cachet sembloit venger : il se donna les plus grands mouvemens pour en précipiter la révocation. A mon retour, l’accueil le plus honnête, le plus décent, fut l’appareil qu’il mit à ma blessure :

Des chevaliers françois tel est le caractère.

Mais ce n’est pas, apparemment, celui des chevaliers littérateurs ni des maréchaux académiciens. (Linguet.)