Mémoire sur la Bastille

62 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

troit une philosophie humaine, elle n’en est pas moins adoptée par une politique universelle.

On ne voit point de nation chez laquelle l’autorité n’ait usé de cette ressource, ou de quelque équivalent. Rome, dans le temps de sa plus pure liberté, avoit des dictateurs. Les ordres de ce magistrat suprême valoient bien des lettres de cachet, puisqu'il disposoit sans appel et sans rendre de compte, non seulement de la liberté, mais de la vie des citoyens.

A Sparte, la raison d’État poussoit le despotisme encore plus loin, pour ainsi dire. Les rois mêmes, c’est-à-dire les chefs de la nation, y étoient soumis; les éphores pouvoient les envoyer en prison. C’étoit, à la vérité, le contraire d’une lettre de cachet; mais enfin c’en étoit une espèce.

Je vois que dans le lieu de l’univers où l’administration est le plus surveillée, le plus restreinte, dans celui où l’on a le mieux réussi à garantir les particuliers sans pouvoir des abus arbitraires du pouvoir, à Londres même, il existe une tour destinée à renfermer les criminels d’État. Le Parlement, ce gardien des libertés privées autant que des franchises publiques, non seulement ne marque päs d’effroi à l’aspect d’une citadelle qui semble menacer les unes et les autres, mais il en fait quelquefois usage; il ne croit par là ni violer, ni compromettre les privilèges du peuple (22).