Mémoire sur la Bastille

LINGUET 65

ger d’un ministère plus lâche encore et plus barbare, si on l’exigeoit d’eux au même titre; qu’ainsi il peut très raisonnablement voir la mort dans chaque aliment qu’on lui sert; qu’à chaque fois qu’on ouvre sa porte, le cri lugubre des verrous qui la chargent peut lui paroître le précurseur d’un arrêt de mort et le signal de l’arrivée des muets destinés à l’exécuter, sans que le sentiment de son innocence, ou l’équité du prince, soient pour lui un motif de tranquillité, puisque la première surprise faite à celle-ci peut être suivie d’une seconde, puisqu'on a sur la vie le même droit que sur la liberté, puisque les mêmes mains qui se prêtent à l’assassiner moralement mille fois par jour, en vertu d’une lettre de cachet, ne se refuseroient pas sans doute à le tuer physiquement une fois, d’après la même autorisation, et que, dans un lieu où tout est douleur et mystère, il n’y a pas d’attentats qui ne puissent être commis et cachés avec la même facilité;

Que sil conserve sa santé, elle n’est qu’un supplice de plus, parce que sa sensibilité est plus vive et ses privations plus douloureuses; si elle succombe, comme il arrive presque toujours, le régime de la maison, qui ne change point, le livre sans secours, sans consolation, à l’idée horrible qu'il ne peut échapper; qu'il va laisser sa famille malheureuse, sa mémoire compromise ;

Mémoires sur la Bastille. 9