Mémoire sur la Bastille

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que sa cendre sera privée des derniers tributs payés par la tendresse aux objets qu’elle a perdus ; que sa fin sera peut-être ignorée; que sa femme, ses enfans, abusés, feront encore des vœux et des efforts pour sa délivrance longtemps après que le tombeau où il a été enseveli vivant ne conservera plus que ses ossemens décharnés :

Si un pareil tableau se trouvoit dans les voyages de Cook ou de l’amiral Anson, quelle impression produiroit-il? Ne prendrions-nous pas le peintre pour un imposteur; ou bien, en nous applaudissant de vivre dans des contrées exemptes d’une pareille servitude, ne concevrions-nous pas un mépris mêlé d'horreur pour un gouvernement si barbare et une nation si avilie?

Hélas! c’est celui de la Bastille, et qu’il est encore au-dessous de la vérité! Qu'il est loin de rendre ces tortures de l’âme, ces convulsions prolongées, cette agonie perpétuelle qui éternise les douleurs de la mort, sans jamais en amener le repos; enfin tout ce que les geôliers de la Bastille peuvent faire souffrir, et ce que personne ne peut peindre |

Le premier article de leur code, c’est le mystère impénétrable qui enveloppe toutes leurs opérations; mystère qui s'étend jusqu’à laisser du doute non seulement sur la résidence, mais sur la vie de Phomme disparu entre leurs mains; mystère qui