Mémoire sur la Bastille

LINGUET 67

ne se borne pas à interdire sans exception tout accès auprès de lui aux nouvelles qui pourroient, ou le consoler, ou le distraire, mais qui empêche également qu’on ne puisse vérifier où il est, ni même sil est encore.

L’homme qu’un officier de la Bastille voit et angarie tous les jours, il soutient sans rougir, quand on lui en parle dans le monde, qu’il ne l’a jamais ni vu, ni connu. Quand mes vrais amis sollicitoient auprès du ministre chargé du département de ces oubliettes la permission de me voir, il répondoit comme un homme étonné même qu’on pût me croire à la Bastille. Le gouverneur a souvent juré à plusieurs d’entre eux, sur son honneur et foi de gentilhomme, que je n’y étois plus, que je n’y avois pas été huit jours : car le scandale de ma détention, le soin que l’on avoit eu de l’opérer en plein jour et en pleine rue, ne lui permettoient pas de soutenir, comme il l’auroit fait sans cela, que je n’y étois jamais entré.

Un laquais ment de même à la porte de son maître, quand il en a reçu l’ordré; mais ce n’est que pour écarter les visites importunes : ses faussetés ont un but utile, ou un effet agréable. Il ne les appuie point par un air pénétré, ni par des sermens, et cependant cet emploi l’avilit. Appréciez donc celui d’un ministre et d’un gouverneur de la Bastille qui ne trompent que pour