Mémoire sur la Bastille

82 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

une répugnance si violente pour un grabat ainsi peuplé qu'on voulut bien me laisser parvenir une couverture neuve, et me permettre de faire battre les matelas, le tout à mes dépens. Comme les lits de plume sont interdits à la Bastille, sans doute parce que ces délicatesses ne conviennent pas à des hommes à qui le ministère veut surtout donner des leçons de mortification !, j'aurois voulu, au moins tous les trois mois, faire donner à mes misérables matelas cette espèce de rajeunissement. Le gouverneur propriétaire s’y opposoit tant qu'il pouvoit, quoiqu'il ne dût rien lui en coûter; « mais parce que cette façon, disoit-il, les use ».

Mme de Staal raconte qu’elle fit tendre dans sa chambre une tapisserie. Dut-elle cette condescendance à sa qualité de favorite d’une grande princesse, ou bien à ce que les mœurs du temps laissoient encore d’humain, même à la Bastille, comme le prouvent les autres détails de sa captivité? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c'est que les tolérances de ce genre sont des abus que la régularité moderne a retranchés. Mes instances

1. Tel est, en effet, le véritable esprit de l'institution de la Bastille. Elle tient à la fois de la prison préventive et de la maison de correction. On y entre sans jugement, on en sort sans flétrissure. Aussi, le censeur royal Jèze met ce château au nombre des maisons de retraites forcées, dont il donne la liste après celle des maisons de retraites religieuses. (État de Paris en 1760, p. 379.)