Mémoire sur la Bastille

LINGUET 81

des miens. Je n’ai dû qu’à la commisération du porte-clefs, après plusieurs mois, une pincette et une pelle de fer. Il ne m’a pas été possible d’obtenir des chenets; et, soit politique, soit inhumanité, ce que le gouverneur ne veut pas fournir, il ne veut pas non plus qu’un prisonnier se le procure à ses propres frais. Ce n’est qu’au bout de huit mois que j’ai pu me faire acheter une théière ; pour avoir, avec mon argent, un fauteuil ordinaire ei solide, il en a fallu douze, et quinze pour remplacer par de la faïence commune la crasseuse et dégoûtante vaisselle d’étain qui circule seule dans la maison,

L’unique meuble qu’il m’ait été permis de me faire acheter dans les premiers jours, c’est une couverture de laine; en voici l’occasion :

Le mois de septembre est, comme on sait, le temps où les œufs des teignes qui rongent les laines se changent en papillons. A l’ouverture de l’antre qui m’étoit assigné, il s’éleva du lit, non pas une ombre, non pas un nuage de ces insectes, mais une large et épaisse colonne, dont le développement inonda la chambre en un instant. Je reculai d'horreur. « Bon, bon, me dit en souriant un des introducteurs, vous n’y aurez pas couché deux nuits qu'il n'y en aura plus un seul. »

Le soir, le lieutenant de police vint, suivant l'usage, me souhaiter la bienvenue, Je montrai

Mémoires sur la Bastille. 11