Mémoire sur la Bastille

94 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

les lits, de balayer les chambres. On prend encore pour prétexte que, quand ëls y seroient occupés, on pourroit les maltraiter, les assassiner, etc. On appréciera la justesse du motif; mais la dispense est constante. Ainsi le vieillard, l’infirme, la femme délicate, l’homme de lettres étranger à ces manipulations du ménage, l’homme opulent qui ne les connoît pas mieux, sont tous soumis à la même étiquette.

À la vérité, les porte-clefs ne s’y assujettissent pas toujours : ils font des exceptions, et rendent quelquefois des services qu’on n’a pas droit d’exiger d'eux ; mais il faut qu’ils s’en cachent, comme d’une correspondance illicite : la furie déguisée en gouverneur qui prend l’alarme dès qu’en passant devant un de ses cachots il n’y entend pas gémir les puniroit bien vite des consolations qu’ils y auroient portées.

C’est dans ce silence absolu, dans ce dénüment général, il faut le répéter, dans ce néant plus cruel que celui de la mort, puisqu'il n’exclut point la douleur, ou plutôt qu'il engendre toutes les espèces de douleurs; c’est dans cette abstraction universelle, il faut ne point se lasser de le redire, que ce qu’on appelle un prisonnier d'État à la Bastille, c’est-à-dire un homme qui a déplu à un ministre, à un commis, à un de leurs valets, est livré Sans ressource d’aucun genre, sans autre distraction