Mémoire sur la Bastille

100 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

« Si l’on avoit voulu vous empoisonner, existeriez-vous? » m'ont déjà dit plusieurs personnes à qui j'ai parlé de cette étrange anecdote, et la même objection sera peut-être répétée par d’autres qui la liront ici; maïs ce n’est que faute de réflexion qu’elle peut paroître spécieuse. Non, sans doute, je n’aurois pas échappé à cette volonté meurtrière si elle avoit été celle du gouvernement; mais mon existence, l’opiniâtreté vivace de ma constitution, ne justifient que lui. Les mains qui ne lui refuseroient pas une lâcheté de cette nature, s’il étoit capable de l’exiger, le sont-elles de résister à des sollicitations lucratives qui peuvent venir d’ailleurs?

Par l’inconcevable régime dont il est question ici, rien de ce qui serviroit à distraire ou à consoler un prisonnier ne peut arriver jusqu’à lui; mais tout ce qui est propre à porter à son âme ou à sa santé des atteintes irréparables n’éprouve aucune difficulté. L’état-major supérieur est composé de quatre officiers ; l’inférieur, de quatre porteclefs; la cuisine, de quatre marmitons. Ces douze hommes savent tous qui ils servent, malgré les ridicules minauderies avec lesquelles on feint de vouloir leur en dérober le secret. Tous sortent, se répandent journellement dans Paris; ils y ont leurs maisons, leurs femmes, leurs amis, leurs connoissances. Est-il donc si difficile de trouver un scélérat