Mémoire sur la Bastille

102 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

Et quand j’aurois pu me tromper sur des accidens aussi marqués, qui ne sont pas encore cessés à beaucoup près; quand ces appréhensions et ces symptômes n’auroient été le fruit que d’une imagination trop vivement frappée, n'est-ce pas déjà un véritable crime pour la Bastille que d’occasionner de semblables craintes et de produire une impuissance absolue de se soustraire aux manipulations secrètes qui pourroient les justifier ?

De plus, n’est-ce pas, dans tous ces cas, une vraie dispute de mots? Je veux bien supposer que dans un lieu où l'Italien Exili tenoit, il y a un siècle, école de poison (27), l’on n'ait pas conservé quelques-unes de ses recettes, et qu’un crime de plus puisse répugner à des hommes dont, encore une fois, la mission spéciale est d’en commettre; mais un séjour de vingt mois, avec tous ses accessoires, dans un lieu où la vie n’est qu’une succession de morts, n’en attaque-t-il pas essentiellement la source? Près de deux ans passés dans ces cachots, sans air, sans exercice, dans les angoisses de l'ennui, dans les convulsions de l’attente, ou plutôt du désespoir, font-ils moins d’impression sur les organes que le venin le plus actif? Elle peut être plus lente, est-elle moins sûre ? Entre ces deux expédiens destructeurs, y a-t-il d’autre différence que le temps?

1. Sur Exili, la Brinvilliers, voir dans la Revue des Deux-