Mémoire sur la Bastille

LINGUET 119 qu’elle m'a été offerte : le premier jour on m’invita, on me conduisit aux tribunes, où il faut être caché pour en jouir; je n’y restai pas longtemps. Ce que la servitude et les fers ont de plus horrible vous suit, vous accable jusqu’au pied de l’autelr,

On traite la Divinité, à la Bastille, aussi lestement que ses images. La chapelle est le dessous d’un colombier garni de pigeons, que nourrit le lieutenant du roi; elle peut avoir sept à huit pieds en carré. Sur une des faces, on a construit quatre petites cages, ou niches, qui ne peuvent contenir juste qu’une personne; elles n’ont ni jour ni air que quand la porte est ouverte, ce qui n'arrive qu’au moment où l’on y entre, et où l’on en sort. C’est là qu’on serre le malheureux dévot; au moment du sacrifice, on tire un petit rideau, qui couvre une lucarne grillée, par laquelle il peut, comme par le tuyau d’une lunette, découvrir le célébrant. Cette manière de participer aux cérémonies de l'Église m’a paru si honteuse et si affligeante que je n’ai pas succombé deux fois à la tentation d’en avoir le spectacle.

Pour les confessions, etc., j'ignore comment on s'arrange; et je ne crois pas qu’il y ait beau-

1. Le tableau de l’autel représentait saint Pierre ès-liens. Quel homme, quel chrétien surtout, pouvait trouver une telle allusion ignominieuse? Mais Linguet plaide toujours.