Mémoire sur la Bastille

118 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

Mais, quand ils sont à l'extrémité, accablés au point de ne pouvoir quitter la couche vermoulue où ils gisent, on leur donne une garde. Et qu'est-ce que cette garde? un soldat invalide, lourd, grossier, brutal, incapable d’attentions, de soins, de rien de ce qui est nécessaire à un malade ; maisil y a bien pis : c’est que ce soldat, une fois attaché à vous, ne peut plus vous quitter : il devient prisonnier lui-même ; ainsi il faut d’abord acheter son consentement, et le déterminer à s’enfermer avec vous tant que durera votre captivité; et, si vous en revenez, il faut vous résoudre à supporter l’humeur, le mécontentement, les reproches, l'ennui de ce compagnon qui se venge bien sur votre santé des services apparens qu'il a prêtés à votre maladie. Appréciez maintenant la sincérité du lieutenant de police d’Argenson, quand il parloit des secours temporels de la Bastille et de la charité des gouverneurs. Quant au spirituel, si ces hommes de fer, incapables de pudeur et de pitié, l’étoient au moins de remords, oseroient-ils même prononcer ce mot? Peut-il rappeler autre chose que leurs outrages à la religion? Ils ne la respectent pas plus que l’humanité. D’abord ne va point qui veut à la messe, à la Bastille: c’estune grâce spéciale, une faveur exquise, qui n’est accordée qu’à un petit nombre d’élus. J’avoue