Mémoire sur la Bastille

24 MÉMOIRES SUR LA BASTILLE

Ceux que ma retraite et mon indépendance actuelle alarment peut-être avec raison ne manqueront pas de s’armer du seul prétexte apparent qui puisse servir leur malignité. Ils m’accuseront d’ingratitude et de révolte. Ils diront que si ma conduite passée n’offre point de crime d’État, le choix de mon asile présent en est un. L’effort qu’ils ont rendu indispensable, ils le peindront comme une évasion criminelle. Ils produiront comme une preuve de la justesse des pressentimens qu’ils opposoient à la restitution de ma liberté lusage qu’ils m’ont forcé d’en faire et l'emploi d’une faculté qu’on n’auroit pu, dirontils, se dispenser de me rendre.

Qu'on eût pu s’en dispenser, il n’y a pas de doute : quand on a la force en main, ce qu’on ravit sans droit, on est maître de le garder toujours; rien de plus clair. Mais ce n’est pas là de quoi il s’agit.

Il est question seulement de savoir, d’un côté, si, parce qu’une captivité sans cause n’a pas été sans terme, jai dû me soumettre aveuglément à la continuation d’une rigueur constamment inique dès son principe ; et, de l’autre, si ayant apprécié ce que valoit une prohibition révoltante, à laquelle il est impossible de supposer que le roi ait eu part, j'ai pu me croire en sûreté ailleurs qu'ici contre un despotisme ministériel qui n’avoit pas