Mémoire sur la Bastille

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et criminelle la machination qui a pu rendre un instant mon innocence problématique.

Mais mes écritures privées ont-elles été aussi intactes que mes actions publiques? N’ai-je pas commis quelque imprudence intérieure, quelque indiscrétion secrète qui ait pu justifier l’animadversion du gouvernement? N'ai-je pas choqué quelque homme puissant, au rang de qui l’on ait cru devoir une réparation ? Voilà la dernière ressource de mes persécuteurs, et c’est aussi le dernier trait de la fatalité qui me destinoit à être un modèle d’oppression passive dans tous les genres.

N'est-il pas étrange, après ce que j’ai souffert de la rage des corps, de la prévarication des hommes en place, que je sois obligé de me justifier sur un pareil sujet; de rendre compte de tous les soupirs que l’indignation a pu m’arracher, de toutes les convulsions que la douleur a pu me causer? Mais il faut bien me prêter à cette énumération, d’abord parce qu’elle estnécessaire, et ensuite parce qu’elle achèvera de dévoiler toute l'horreur, toute la làcheté des manœuvres dont j’ai été la victime.

Le seul grief de l’espèce dont il s’agit qui m’ait été communiqué, celui qu’on m’a présenté comme l'unique cause de ma détention, c’est une lettre à M. le maréchal de Duras:; je ne prétends pas la

1. Emmanuel-Félicité de Durfort, duc de Duras (19 dé-