Mémoires du général Baron Roch Godart (1792-1815)

356 MÉMOIRES DU GÉNÉRAL GODART

1812 (A 21, p. 185.)

Les bandes en retraite sur Vilna, le 4 décembre.

« … Je commençai à rencontrer la file des hommes qui revenaient sur Vilna. C'était un mélange confus de toutes les armes, de tous les grades, sans ordre, sans distinction. Mornes, silencieux, on ne leur entendait que proférer des soupirs; ils se heurtaient souvent les uns les autres. J'en vis un grand nombre tomber tout à coup à la renverse; quelques-uns se relevaient après de pénibles efforts; mais la plupart demeuraient sur la place, et mouraient avec des mouvements convulsifs. Presque tous avaient jeté leurs armes, et se trouvaient dans un dénuement complet d'habits et surtout de souliers, privation qui leur était la plus insupportable. On en voyait couverts d'habillements bizarres, de pelisses de femmes, de mille différents lambeaux. Le général n'était pas mieux que le soldat ou le tambour, et en était heurté sans même oser rien dire; car on ne connaissait plus ni subordination ni discipline.

« HAGENDoRP. » (Allant trouver l'Empereur à Vileika.)

1812 (A 22, p. 186.)

« Beaucoup de généraux et d'officiers de ma connaissance, n'ayant pu trouver de logement, vinrent se réfugier dans le mien, à l'hôtel du gouvernement civil russe, qui était fort vaste.

« Tous les appartements de mon hôtel étaient bien chaufés, et J'y avais fait étendre de la paille, car les lits sont rares dans cette partie de la Pologne. Des bouillons restaurants y étaient continuellement préparés; j'avais une abondante provision de vin, et ceux qui se retirèrent chez moi recouvrèrent en assez peu de temps les forces qui leur étaient nécessaires pour supporter les fatigues de la retraite. Mon hôtel ressemblait à un hôpital... Les ressources de ma table répondirent jusqu’à la fin à mon désir d’être utile à tous; le bien que je fis adoucit pour moi les derniers moments que je passai à Vilna.

« HAGENDORP. »