Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques

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celui qui vient ainsi habiter et se perdre parmi tant de miseres et d'imperfections, et auquel pourtant on se réduit, parce que l'on veut, même en le trompant, satisfaire cet invincible besoin de trouver quelque part un sujet à tous ces modes, un principe à tous ces faits, qui téméignent dans la création de l'essence et de la perfection divine. On met le ciel sur la terre, quand on ne le laisse pas à sa vraie place, et plutôt que de s'en priver, on l'abaisse à ses pieds; pour se donner le change et se dédommager d’une déplorable aberration , on divinise la nature humaine. La religion qu'on chasse ainsi d'en haut par la fenêtre, rentre en bas par la porte, et on se sauve par une illusion d’une trop grossière négation, ce qui n'est encore qu'une déception.

Tels sont quelques-uns des choix par lesquels Naigeon se distingua comme éditeur.

Mais il ne fut pas seulement éditeur, il fut aussi auteur, et quoiqu'il ne faille pas lui attribuer tout ce qu’on s’est plu à lui prêter, il n’en a pas moins ses œuvres certaines et sa part également certaine dans celles auxquelles il a contribué avec ses amis.

On lui a donné l'article 4me dans Encyclopédie; c'est une méprise. Voltaire qui en avait recommandé le sujet à l'honnête homme, comme il dit, qui en serait chargé, ne fut pas content du morceau et trouva qu'il était d'un théologien plutôt que d’un philosophe. Il n'était donc pas de Naigeon, qui l’eût mieux satisfait, et n’y eût certainement pas laissé cette teinte de spiritualisme qu'on y reconnaît encore, et la critique, même assez sévère qu'on y lit de l'opinion de Locke. L'article en effet était de l'abbé Yvon, licencié en Sorbonne, qui après avoir exposé les différentes doctrines sur'la

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