Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques
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Que si de l’auteur on passe au lecteur, et qu'on se demande en quel état ont dû laisser son âme, toutes ces pensées d’athéisme, prodiguées sans détour dans les vers impies du Lucrèce français , on demeure exempt de crainte et l'on s'assure aisément que ce poison ne le peut gagner; pour qu'il fût dangereux, il le faudrait autrement préparé et proposé. Ce n’est pas dans la grossièreté , c'est dans la subtilité du principe délétère que peut être le péril. Or ici tout est si manifeste et si peu déguisé, que la prudence et la répugnance se trouvent d'abord éveillées, et qu’à. force d’être patent, le mal finit par être innocent.
Cependant une ombre de poésie s'étend encore ici sur les sentiments de l’auteur ; il n’en sera plus de même de son Dictionnaire des athées, où sa prose toute nue, sa prose découpée en mille petits articles et dispersée comme au hasard sur une foule de noms rapprochés sans ordre, n'offrira plus qu’une suite de menus propos du plus vulgaire scandale. Cependant ce scandale lui-même a son utilité et porte avec lui son sérieux enseignement. C’est pourquoi je ferai aussi du Dictionnaire des athées un rapide examen, qui servira de complément et de confirmation à celui du Lucrèce français.
Il fallait à ce dictionnaire une préface on un discours preliminaire, pour y mieux introduire le lecteur. Iln'y manque pas, et voici quel en est le dessein : il va être longuement question , dans le corps même de l'ouvrage , d’athées de toute espèce; il faut donc d’abord savoir ce qu'est l'athée en général et à quels traits il se reconnaît; or l'athée , le véri table athée d'après l’auteur , qui en voudrait bien proposer une définition quelque peu plausible , n’est pas , comme il