Michelet et l'histoire de la Révolution française
26 MICHELET. — HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
parence sensible des faits. La Révolution pour lui est le résultat d'idées abstraites et fausses qui ont engendré des théories chimériques. Ces théories ont donné naissance à des inslilulions inapplicables qui ont procuit le désordre et l'anarchie, dont on n’est sorti que par la tyrannie. Ainsi résumée, l'œuvre de Taine nous apparait comme incroyablement élroile et passionnée. — Mais prenez-la dans ses diverses parties eL vous verrez que, malgré ses lacunes très visibles el ses injustices évidentes, il sy lrouve des vues historiques d'une {rès grande portée. Personne n’a mieux moniré que l'Ancien Régime avail délruil loules les forces vilales de la France pour ne laisser subsister qu'un pouvoir monarchique vermoulu, el cela dans un pays d’une culture philosophique el politique très avancée, disposé à légilérer d'après les idées «& priori. Il à lrès bien vu ce qu'il y à de dangereux et d’impraticable à vouloir créer d’un coup lout un régime nouveau — el comment ce nouveau régime, qui devait corriger des abus et des désordres séculaires a été créateur d'anarchie, et comment celle anarchie a amené, par la nécessité de vivre, la tyrannie jacobine, puis la {yrannie napoléonienne. — Taine, en faisant le tableau de l’anarchie spontanée de 1791 et 4792, puis de la conquête jacobine, a donné aux historiens des indications qui ne pourront plus jamais être négligées, et il a laissé sur l’état moral de la Frante révolutionnaire des traits de lumière qui font de son livre quelque chose d’absolument nouveau et de très fécond, comme il a aussi, dans ses deux volumes sur le Régime moderne, posé avec une vigueur admirable les questions vitales que la France du xxe siècle a légué à celle du xxe et dont la solution parait encore si incertaine. Son tort a été de ne voir qu'un côté des choses et de n’avoir pas su, pas plus que Carlyle, à qui il le reprochait, mettre le bien à côté du mal, les vertus à côté des vices. Quand il raconta à son tour l'histoire dé la Révolution, il reproduisit contre elle et contre la néfaste influence de la philosophie du xvin siècle, de Rousseau surtoul, à peu près toutes les accusations de Carlyle.
M. Lacombe, dans son volume sur Taine historien et sociologue, a très bien mis en lumière les défauts de la méthode de Taïne et le danger de son système de simplification. Sa psychologie du Jacobin est une psychologie en grande partie fantaisiste. M. Lacombe critique aussi avec raison la prétention de Taine de retrouver partout, dans la Déclaration des droits et dans la Révolution, Rousseau et l'Esprit classique. Car enfin; il faut s'entendre. Si Rousseau est le père du Romantisme et de la Révolution, ce n'est plus l'esprit classique qui est responsable des erreurs de la Révolution.
Le livre de Taine, malgré tous ses défauts, est l'œuvre d’un puissant esprit, qui a cherché, avec l'intention la plus honnête, à ne rien dire dont il ne püt fournir une justification puisée aux sources originales, à comprendre et à faire comprendre pourquoi la France, depuis la Révolution, paraît perpéluellement mécontente de son sort et ne trouve pas dans ses institutions la satisfaction des principes mêmes au nom desquelles élle a renoncé à l'Ancien Régime. Certes, il n'avait pas une préparation historique préalable suffisante ; certes, il a vu trop peu de sources et les a choisies avee des idées préconçues ; certes, il a souvent plié les faits pour les faire servir à la démonstration d'un système, mais il a eu l'immense mérite d’avoir considéré, comme Michelet avait cherché à le faire, que, pour comprendré la Révolution, il fallait pénétrer dans le cerveau et le