Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre
MARCHE LUGUBRE
GOSSEC
La Marche lugubre date de l'année 1790, c’est l’auteur du portrait de Gossec que l’on voit dans la salle de travail de la Bibliothèque du Conservatoire qui nous l'apprend. Par un heureux hasard, le peintre — Vestier — a poussé la minutie dans les détails jusqu’à reproduire le titre et les premières mesures de deux œuvres de Gossec, en tête des feuilles de musique placées sur le pupitre-table servant d'appui et d’accessoire au compositeur, représenté debout, en costume d’académicien et la boutonnière ornée d’un large ruban rouge !. Sur l'un des cahiers, nous lisons : « Marche lugubre pour les honneurs funéraires qui doivent être rendus au Champ de la Fédération le 20 septembre 1790 aux mânes des viloyens morts à l'affaire de Nancy, et sous ce titre, se trouve noté un fragment de la partition.
Ces indications précises sont précieuses, attendu qu'il existe une marche funèbre (que nous donnerons plus loin), répondant comme la Marche luqubre, aux descriptions des contemporains (voir p: 3) et dans laquelle on retrouve les particularités qui ont excité leur admiration, entre autres, la suspension de la mélodie pendant une mesure et plus.
Gossec a tiré de cet artifice un effet qui a vivement impressionné, mais ce n'est pas de cette innovation seule — renouvelée d’ailleurs du xvr° siècle — que sa composition tient son intérêt, nous le démontrerons. Etablissons au préalable l'antériorité.
C’est dans l’œuvre considérable de Philidor, ordinaire de la musique du roi et garde de sa bibliothèque, que se trouve le plus ancien exemple, nous ne dirons pas connu, car il ne l'est que de très peu de personnes, mais que l’on puisse citer actuellement.
Un gros in-folio manuscrit conservé à la Bibliothèque de Versailles, contient la « marche à 3 hautbois différents, et pour les tambours de la chambre » que voici :
eo +
LE
Hautbois.
Tambours. -
—S
T
Voilà qui est probant.
Quant à l’époque, elle nous est fournie par le titre même du morceau : Marche des pompes funèbres pour les grandes cérémonies, laquelle a esté laite en premier lieu pour la pompe funèbre de Madame la Dauphine par Philidor l'aîné, l'an 16.
Que Gossec ait ignoré le procédé de Philidor — qui n’en est peut-être pas l’initiateur — où qu'il s’en soit inspiré, peu importe! Si nous avons fait ressortir l’analogie, c'est par curiosité et non pour diminuer le mérite de ce compositeur.
À vrai dire, il n'y a pas de silence complet dans la Marche de Gossec. Les instruments se taisent pendant deux, quatre ou cinq temps d’un mouvement fort lent, mais cet intervalle est rempli par les sourds grondements de la caisse roulante ou le sinistre bruit du tam-tam, auquel s’unit quelquefois la grosse caisse. C’est dans la combinaison et surtout dans l'alternance de ces deux éléments : les instruments à vent aux accents déchirants, et les instruments 4 percussion aux profondes et formidables vibrations, que le maître a fait preuve d'invention et, sous ce rapport, personne ne peut lui revendiquer la priorité. La réunion des instruments qui constituent son orchestre est elle-même une nouveauté pour l’époque. Rares étaient les corps de musique militaire comprenant d’autres instruments que la clarinette, le cor et le basson. Gossec leur adjoint dans sa marche, les petites flûtes aux sons stridents et incisifs, les trompettes auxquelles il ne confie qu'un rôle fort modeste, en ne leur demandant que de renforcer et de compléter les accords avec leurs notes peu cuivrées, et cependant sonores, du grave et du medium et enfin, les trois sortes de trombone introduits depuis peu dans l'orchestre dramatique (hautecontre, ténor et basse). Notons pour mémoire l’adjonction du serpent, préconisée par Francœur en 1772, son intervention n'ayant d'autre but que de fortifier les bassons. À ces instruments connus, il ajouta la caisse roulante et la grosse caisse qui commençaient à prendre place accessoirement, dans certaines musiques, et le tam-tam, jusqu'alors l'apanage des Orientaux, qui retentit pour la première fois dans les cérémonies de la Révolution 2. à
Une nouveauté dans toute l’acception du mot fut la présence de la tuba corva* introduite en 1791 dans les circonstances que nous avons rapportées précédemment (p. 4). Cet instrument imité des
omains, au moins dans la forme, était certes bien rudimentaire puisqu'il n’apportait le secours que de
* Gette minutie ne va cependant pas jusqu'à l'exactitude absolue. Par exemple le bémol qui marque la tonalité du morceau fait défaut à la clé, de même que le nombre des portées est inférieur à celui qui doit être, car les modificalions apportées par Gossec à cette marche — modifications dont nous trouvons la preuve dans la comparaison des parties de cors et de trompettes entre autres — étaient accomplies au moment de l'exécution du tableau. Les insignes de la Légion d'honneur dont Gossec est revêtu, semblent indiquer que son portrait est postérieur à 1804 (année de sa nomination dans cet ordre). Il est au contraire antérieur, Ces insignes ont été ajoutés par la suite, nous le savons de source certaine, | '
* Erratum : Avant les vers de Chénier, page 4, 2 ligne, il faut lire : 1885, au lieu de 4886. C’est dans la Musique des familles (n° du 17 sept. 1885) que nous avons déjà publié l'extrait de l’épitre à Mehul Du pouvoir de la musique, Où il est question des instraments employés lors de la translation de Voltaire, et notamment du tam-tam.
. * On trouvera plus loin (p.51) des détails complémentaires sur cet instrument et l'indication des documents qui nous ont permis d'identifier le seul spécimen qui soit connu.