Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre

PEUPLE, ÉVEILLE-TOI!

VOLTAIRE — GOSSEC

C’est très probablement le marquis de Villette, neveu de Voltaire, — l'instigateur de la translation à Paris des cendres de son oncle, — qui désigna le fragment de Samson que Gossec mit en musique pour cette cérémonie !.

Dans l'opéra de Voltaire (1731), ce fragment n'était pas destiné à être chanté par le chœur; il fait partie d’un air de Samson exhortant les israélites à secouer le joug des philistins. Les vers s’appliquaient parfaitement à la situation en 1797 et semblaient faits depuis la Révolution, comme les journaux ne manquèrent pas de le remarquer. En les écrivant, Voltaire ne s'était certainement pas douté qu'ils recevraient un jour une signification politique et qu’ils serviraient, en plusieurs occasions, à exciter le peuple français à la conquête de son indépendance.

Dans le trajet de la Bastille au Panthéon, le cortège fit trois stations, ainsi que nous l'avons dit précédemment (p. 3) pour l'exécution des hymnes. A la première, qui eut lieu devant l'Opéra, on chanta l'hymne de Chenier (p. 5) et le chœur de Voltaire (p. 53) Çune des productions les plus brillantes de Gossec. » Ce dernier fut également chanté à la deuxième station, quai des Théâtins, devant la maison du marquis de Villette où mourut Voltaire, ainsi qu'il ressort de ces lignes : « À ce chant (l'hymne de Chénier) succède le chœur qui invoque à grands cris la liberté et qui en allume tous les feux dans l’âme de ceux qui l’entendent. » Ce chœur retentit encore à la troisième station (Odéon), nous en trouvons le témoignage sur la partition autographe de Gossec deposée au Conservatoire, qui porte en tête : « Station au temple de Melpomène pour la translation de Voltaire. »

Cette œuvre de Gossec est la première, si nous ne nous trompons, dans laquelle un orchestre d'instruments à vent a été appelé à accompagner les voix. A ce titre seul, elle serait remarquable; cependant sa composition instrumentale attire aussi l'attention. Aux clarinettes, cors et bassons de la musique militaire ordinaire, s'ajoutent les hautbois doublant, avec les clarinettes, la partie chorale de hautecontre, en l'agrémentant de notes de passage dans les tenues ou dans les intervalles du chant; les trompettes, qui viennent combler les vides laissés par les cors ou les renforcer par endroits ; les trombones, soutenant le chant de leurs accords plaqués, et enfin, les timbales, pour assurer le rythme ou donner du mordant à certains accords. Des instruments nouveaux firent aussi leur première apparition dans l'œuvre de Gossec, sous le nom de petites et de grandes trompes antiques. Ge sont les fuba corva et les buccins dont il a été déjà question à plusieurs reprises. D’après l'examen de la partition, les plus petites étaient en mi bémol et Les plus grandes en si bémol; à l'instar des timbales, elles ne faisaient entendre que la tonique et la dominante. ?

Jusqu'à l’année dernière, l’on ne possédait aucun renseignement sur la tuba corva et le buccin. Les premiers détails publiés, l'ont été dans notre volume Les facteurs d'instruments de musique, d'après un journal du temps; mais on ne signalait nulle part un seul exemplaire de ces instruments, dont il a cependant été construit un certain nombre et que Méhul utilisait encore dans Joseph (1807). Nous croyons en avoir trouvé un spécimen dans l’intéressante collection de M. Eug. de Bricqueville à Versailles. Parmi les superbes pièces qui ornent sa galerie, se trouve une sorte de grand cornet de chasse, dont la forme en U rappelle assez celle des anciens huchets, tels que les représentent les ouvrages de vénerie des xvrI° et xvrrie siècles. Comme beaucoup d'autres, nous nous serions mépris sur la nature ct l'époque de cet instrument, s'il n'avait porté la marque d’un facteur sur lequel nous venions de donner des renseignements absolument inédits et très précis : Fait à Paris par Cormery, rue des Prouvaires près St-Eustace (sic).

1 Cet opéra biblique avait été écrit pour Rameau qui en fit la musique, mais il ne fut point représenté sur la scène de l'Académie royale, par suite de l'interdiction de l'autorité qui voyait une profanation, dans la mise au théâtre d'un ouvrage dont le sujet était emprunté à l'Ecriture. Voltaire en üra plus tard un oratorio qui fut mis en musique par N.-J, Deméreaux ct exécuté au Concert spirituel, en sa présence, le mardi de Pâques 21 avril 1778, suivant l'indication que nous relevons sur la partition autographe de Méreaux appartenant à la bibliothèque de l'Opéra.

? La première livraison du Magasin de Musique (germinal Il — avril 1794) contient l'hymne de Voltaire et Gossec pour orchestre réduit, Les parties de trompes antiques n'y figurent pas, non plus que les deux premiers trombones. Ce qui confirme notre opinion relativement à la suppression de la partie de Lam-tam de la Warche lugubre (p. 46) et prouve que les œuvres étaient parlois simplifiées dans les éditions du Magasin,