Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre

CÉLÉBRATION DES VICTOIRES

DES ARMÉES FRANÇAISES

La période révolutionnaire a été particulièrement glorieuse pour l'armée française. Luttant seule et dans des conditions souvent défavorables contre les puissances acharnées à sa perte, elle accomplit des prodiges et força, en mainte occasion, l'admiration des ennemis, par la hardiesse et l'audace de ses entreprises. L'annonce de chacune de ses victoires exaltait les esprits et bientôt l'enthousiasme se manifesta par des fêtes, dans lesquelles on rendait hommage au courage et à la valeur des défenseurs de la patrie, en même temps que l’on se réjouissait de leurs succès. Essentiellement subordonnées aux événements, ces fêtes n'étaient point périodiques : toutes de circonstances, elles furent, à de rares exceptions, décrétées spontanément.

La victoire de Valmy (20 septembre 1792) — la première qui illustra nos troupes encore peu aguerries ct fit la gloire de Kellermann et de Dumouriez — ne fut l’objet d'aucune cérémonie : l’habitude n'était pas encore à ces sortes de fêtes, si nombreuses par la suite, et les préoccupations étaient ailleurs. Cependant le jour n’était pas loin, qui devait commencer la série des solennités consacrées à la gloire des armées.

À l'occasion de la conquête pacifique de la Savoie, la Convention nationale décréta, le 28 septembre 1792, qu'une fête civique serait célébrée dans toute la République, en mémoire du succès des armes françaises, et que l’Hymne des Marseillais serait « solennellement chantée dans la place de la Révolutionf, » L'initiative en revient au ministre de la guerre, Servan, mais dans la lettre qu'il adressa à l'assemblée et qui fut lue en séance, il n’était question que d’une cérémonie à Paris; sur la motion d'un membre de la Convention, la célébration fut étendue à toute la République. La manifestation proposée par ce ministre était des plus simples, sa demande se bornant à l'exécution de la Marseillaise. Servan fut un des apôtres enthousiastes de l’œuvre de Rouget de Lisle et il doit compter parmi ses plus ardents propagateurs. C’est lui qui, quelques jours auparavant (26 septembre), avait répondu à Kellermann, lui demandant de faire chanter un 7e Deum en l'honneur de la bataille de Valmy : « La « mode des Te Deum est passée, il faut y substituer quelque chose de plus utile et de plus conforme à « l'esprit public, je vous autorise donc, général, si vous croyez avoir besoin d'autorisation, à faire « chanter solennellement, et avec la même pompe que vous auriez mise au Te Deum, l'Himne des Mar« seillais que je joins icy à cet effet *. » En demandant à la Convention, deux jours après, une exécution semblable, il poursuivait done un but dont il puisa peut-être l’idée dans la proposition de Kellermann.

La fête fut des plus simples, mais non pas exempte de grandeur. Fixée d'abordau mardi g octobre, elle fut remise au dimanche 14 (Moniteur n° 288). Le cortège se rendit de l'Hôtel de Ville à la place de la Révolution (« ci-devant Louis-XV», aujourd'hui de la Concorde) où toutes les autorités (24 membres de la Convention, les corps politiques et municipaux, les délégués savoisiens, ete.) se rangèrent autour de la statue de la Liberté, pavoisée avec les drapeaux de la force armée. Une nombreuse musique exécuta l'hymne des Marseillais : « la chanson des guerricrs marseillais, devenue l'hymne de la République € dit le Moniteur du 17 octobre (p. 1232) — a été chantée avec enthousiasme, et les spectateurs attendris, «remplis de cette satisfaction douce, si différente de l'agitation bruyante de la fausse joie, se sont retirés Cpaisiblement ». Un autre journal — Je Patriote français (du 16 oct.) — nous apprend que « ce chant sacré » à été ensuite répété € par toutes les bouches. »

Cette cérémonie fatmarquée par un fait qui se rattache à l’histoire de la Marseillaise : la première audition du couplet dit des enfants : «Nous entrerons dans la carrière. » dont l’auteur, resté inconnu, a causé à diverses reprises, des polémiques qui sont loin d’être closes #. Ne pouvant prendre parti dans le débat, constatons — ce qui n'a pas encore été fait — que ce couplet, digne d’être compté parmi les plus beaux de l’hymne de Rouget de Lisle, fut chanté par le citoyen Lays de l'Opéra et publié par divers

Journaux, entre autres par les Annales patriotiques du 16 octobre (p. 1294), et la Chronique de Paris du »2 octobre (p. 1184).

© Décrets de la Convention (collection du Louvre, & XI, p. 586 et Archives nationales, AD VIIL. 16), — Recueil chronologique des décrets rendus par les assemblées (Archives nationales, Fi I. 8%). . Copie de minutes, 26 sept. 1792 (Arch. hist. du Ministère de la Guerre). Kellermann accusa réception de cet ue le CU) Pre par une lettre que nous avons publiée pour la première fois, dans notre opuscule. La MarseilSe, p.41 S87). 3. Voir dans les Révolutions de Paris, (t. 14, p. 166), une gravure représentant cette fête. | 4. Les uns, et parmi eux M. Alf. Leconte (Rouget de Lisle, 1899, p. 260) opinent pour l'abbé Peyssonneau: d'autres, parmi lesquels M. J, Tiersot (Xouget de Liste, 1892, pp. 120, 397) inclinent pour Louis du Bois, mais aucun document précis ne permet de trancher catégoriquement la question.