Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre

62 CÉLÉBRATION DES VICTOIRES, 4792.

Le souvenir de la « fête savoisienne » n’était pas effacé, qu'arrivaient les récits de la défaite des Autrichiens à Jemmapes (6 nov. 1792). Dès que lecture de la lettre de Beurnonville eut été donnée à la Convention (séance du g novembre), Jean Debry demanda l'institution d’une fête nationale « pour célébrer « la première victoire gagnée en bataille rangée, par les armées de la République française ». Contre son attente, cette proposition fut discutée: les avis étaient partagés sur le principe et sur l'opportunité. Lasource, tout en reconnaissant qu'il était juste de payer un tribut à la valeur des soldats français, pensait qu'il fallait attendre pour instituer une fête annuelle, que la France soit entourée de peuples libres et, en faisant remarquer que les autres armées avaient aussi bien mérité de la Patrie, il concluait à l’ajournement. En présence de cette attitude, J. Debry jugea prudent de retirer sa proposition de fête annuelle, mais il insista pour que la victoire de Jemmapes fut célébrée. Malgré cette concession, il fallut encore discuter avant que d'arriver à la solution. Barère s’opposait à toute fête résultant des massacres d'hommes. N'imitons pas, disait-il, le despotisme; laissons les rois faire célébrer des fêtes après avoir inondé la terre de sang. Dans les républiques anciennes, les fêtes célébrées après les batailles étaient funèbres ct non brillantes. Trois cents français, poursuivait-il, ont laissé des veuves et des orphelins, et vous parlez de fête ! Que l'on élève plutôt un monument et que l’on prononce l'éloge publie des patriotes décédés. Plus logique, Vergniaud également opposé pourtant à l'adoption d’une fête annuelle, fit remarquer que l'on savait bien, en entreprenant la guerre, qu’elle coûterait la vie à des français, mais comme elle avait pour but la consolidation de la paix et l'établissement de la liberté universelle, il était convenable de fêter la victoire actuelle. Que l’on fasse, dit-il, l'éloge funèbre des héros disparus et que le regret de les avoir perdus se confonde dans la joie de voir triompher la liberté de la patrie; puis il termina en demandant que le comité d'instruction publique fût chargé de présenter un rapport sur le mode d’exécution. Il eut gain de cause, à cela près que la fête décrétée aussitôt par la Convention, ne fut pas spéciale à la circonstance et à l’armée du Nord, elle devait être consacrée à « honorer les succés des armées de la République! ».Pour des causes non précisées, ce décret resta lettre morte ou du moins, aucune trace de son exécution ne nous est parvenue. On ne risquerait pas une fausse présomption, en attribuant cet état de choses à l'agitation et aux soucis qui régnaient dans la population, à ce moment où commençait le procès de Louis XVI.

Voyant le principe gouvernemental menacé par la mort sur l’échafaud du dernier roi de France (21 janvier 1793), les puissances monarchiques résolurent d'entreprendre la lutte contre la République française. Par de téméraires provocations, elles s’attirérent les déclarations de guerre que leur lança fièrement Ja Convention. Ce fut le début de cette brillante campagne de dix-sept mois, qui valut d’éclatantes victoires à nos soldats improvisés.

Nous ne les suivrons pas dans toutes les péripéties de ce long et glorieux combat, ce serait s'écarter du but du présent travail. Passons donc sur les merveilles opérées par les organisateurs des quatorze armées de la République et notons seulement la victoire d'Hondschoote et la levée du siège de Dunkerque (8 sept. 1793), la journée de Wattignies et la délivrance de Maubeuge (16-17 octobre), le succès de Landau (26 décembre) et arrivons à la reprise de Toulon sur les Anglais (19 décembre), qui fut l'occasion d’une fête qui comporta une certaine pompe, malgré le court délai accordé aux organisateurs.

Décrétée par la Convention le 4 nivôse an II (24 déc. 1793) pour le premier décadi suivant (30 décembre), cette fête fut donnée « en mémoire des victoires des armées françaises et notamment à l’occasion de la prise de Toulon » livrée par trahison aux Anglais le 20 août précédent, on le sait. Suivant l’article 2 du dit décret, elle devait être célébrée dans toute l'étendue de la République?. A Paris, l’organisation fut confiée au peintre David, qui imagina un spectacle imposant où dominait le goût antique, dont il présenta le programme à la Convention trois jours après (séance du 7 nivôse3),

Au jour fixé (10 nivôse), un nombreux cortège se réunit au jardin national (les Tuileries). Il se composait de forts détachements de l’armée, de députations des sociétés populaires, des comités, tribunaux, du Conseil exécutif provisoire, des vainqueurs de la Bastille, etc., séparés par des groupes de trompettes, sapeurs et tambours au nombre de cinquante. Venaient ensuite divers chars : celui de l'armée révolutionnaire portant les défenseurs de la Liberté environnés de quarante jeunes filles vêtues de blanc, une ceinture tricolore autour de la taille et tenant en main une branche de laurier; ceux des armées du Haut et du Bas-Rhin, de la Moselle, des Ardennes, du Nord, des Pyrénées-Orientales et Occidentales, des Alpes, de Toulon, du Var, de l'Ouest, des côtes de Cherbourg et de Brest. La Convention suivait tout entière, entourée d'un ruban tricolore, tenu par des vétérans et enfants de la patrie. Une masse de cinquante tambours, la musique de la garde nationale parisienne et les artistes chargés de l'exécution des hymnes, précédaient le char principal, portant le faisceau national, surmonté de la statue allégorique de la Victoire, autour de laquelle devaient prendre place cinquante invalides et les « braves sans-culotte en bonnet rouge. » Un peloton de cavalerie fermait la marche.

Après l'exécution « d'airs belliqueux », onse rendit au Temple de l'Humanité pour y chercher les

1. Décret de la Convention nationale du 9 nov. 1792. (Collection du Louvre, t.12, p. 478, — Bibl. nat. Inv, F. 14836. — Arch. nat, AD. VIIL, 16). — Compte rendu des séances de la Convention dans le Moniteur du 11 nov. n° 316, Le Mercure, p. 174. Les Révolutions de Paris, t, 12, p. 374, etc.

2 Décret. Archives nationales D. XLII, 1,

3 Rapport de David (Archives nationales AD. VIIL, 19 — Bibl. nat. Le # 623). — Le Moniteur, Ordre de la marche de la fête... (Arch. nat. AD. VIIT. 46 — Bibl, nat. Lb# 960). Divers journaux publièrent aussi le programme : La Gagette française du 10 niv. (p. 1754), les Annales patriotiques du 9, (p. 4633), Le Journal de Paris du 10, (p. 1467).