Musique exécutée aux fêtes nationales de la Révolution française : chant, choeurs et orchestre

FÈTE DU 10 PRAIRIAL (IV). — VICTOIRES EN ITALIE. 71

tenant dans l’autre, une baguette surmontée du bonnet de Guillaume Tell. Quatre trépieds, autour, exhalaient leurs parfums. Derrière le piédestal se trouvait un grand arbre chargé denombreux drapeaux ennemis, dont les 21 récemment rapportés d'Italie par Murat sur l'ordre de Bonaparte. À droite et à gauche, des statues de Victoires et de Renommées.

Le Conservatoire ouvrit la fête par la symphonie militaire de L. Jadin, puis eurent lieu successivement les discours, des évolutions militaires, une distribution de couronnes de lauriers, et la remise des drapeaux aux députations des 14 armées. Dans les intervalles, le Conservatoire exécuta l'hymne à la Victoire, de Coupigny et Gosse, le chant des Victoires, de Chénier et Méhul, un hymne à la Victoire, de Flins et Chérubini, le chant martial, de Lachabeaussière et Gossec, quelques couplets du chant lyrico-bachique (chant du banquet républicain), de Lebrun et Catel, et un chœur général des mêmes auteurs, que l’on ne désigne pas autrement.

Somme toute, la fête des Victoires, habilement ordonnée, fut majestueuse et fit une excellente impression sur le peuple, que la nouvelle des brillants succès de l’armée d'Italie avait comblé d’allégresse et qui saisit avec empressement l’occasion de saluer ses héros, par d’enthousiastes acclamations.

Presque tous les morceaux ci-dessus furent composés spécialement pour la circonstance. Le plus remarquable est sans contredit l'hymne à la Victoire, de Chérubini (p. S9). Son allure est franche et vigoureuse, originale, sans réminiscences et d’un puissant effet. Après les énergiques accords du prélude et le chœur plein de fougue qui suit immédiatement, vient comme le calme après la tempête, une phrase douce d'un joli contour, chantée en soli par les haute-contre, qui se distingue autant par son caractère que par la simplicité des moyens. La mélodie ne s'écarte pas de la tonalité principale et l'harmonie comporte seulement l'accord parfait majeur, sans manquer pour cela d'élégance et de correction : c'est une des particularités de ce morceau que d’être fresque entièrement tonal et de conserver quand même l'intérêt et la variété. Signalons aussi dans ce passage, une marche d'harmonie et la délicatesse du dessin d'accompagnement confié aux clarinettes et bassons seuls, puis aux clarinettes et flûtes dialoguant d’une façon charmante. Les instruments concertent plus qu'ils ne doublent les parties chantantes, par instants ils laissent même les voix à découvert; ilen résulte une couleur et une série d'effets qui se perdent peut-être à l’exécution en plein air, mais qui ne sont pas pour déplaire au musicien qui rechercheune œuvre pour sa valeur et son intérêt.Commeéléments extraordinaires, Ghérubini a employéla turba corvabien que son secours soit des plus restreints, et les instruments à percussion dont on n’abusait pas encore à son époque comme aujourd'hui. Nous ne nous expliquons pas comment il se fait que cet hymne soit resté complètement inédit ; nous avons dû le reconstituer entièrement d’après les parties manuscrites d'orchestre et de chant, sans nous préoccuper de l'édition in-octavo faite à l’époque, sous le n° 56 de l'Ouvrage périodique de chansons et romances civiques, qui ne contient que la partie chantante et la basse chiffrée. Il faut croire que l'audition du ro prairial fut unique, car nous n’avons pas relevé le titre de cette œuvre de Chérubini sur d’autres programmes.

Le Chant du banquet républicain de Catel (p. 97), n’a pas l'importance de l'hymne précédent. Il est plein d’entrain et d’un caractère gai, sans trivialité, qui contraste avec la sévérité inévitable des divers morceaux que nous avons eu à mentionner jusqu'ici. L’allegretto est d’un tour gracieux et les brillantes broderies de clarinette lui donnent une légèreté d’allure très séduisante. L’orchestre est traité délicatement sans manquer de sonorité et, chose peu fréquente alors, on remarque dans l’accompagnement quelques passages avec des contre-temps. Tel que nous le publions, c'est-à-dire dans son intégralité, ce morceau est inédit. Seule la partie de chant a été gravée avec la basse chiffrée, au Magasin de musique sous le n° 53 et le recueil des Epoques, ne l'a donné qu'avec le petit orchestre. C'est d'après les parties manuscrites ayant servi à la fête du ro prairial — l'unique audition dont nous ayons connaissance que nous avons reconstitué cette partition. Le poème a été inséré dans le Moniteur (n° 10 prairial, p- 998) et dans le Mercure français du 20 prairial (t. 22, p. 300). Les 8 strophes que nous donnons ci-après (p. 101) n'étaient pas toutes chantées; celles qui sont marquées d’un astérisque ne figurent pas sur les parties manuscrites. Avec ces 8 strophes, ce chant n'avait pas reçu du poète sa forme définitive, En l'an IX, la Décade-philosophique (n° du 30 pluv., t. 28, p. 369), en publia une nouvelle version augmentée de 4 strophes (Quelle est cette race — Quel choc — Tamise — Rois trompés), dans laquelle l’ordre des strophes était interverti et la 7€ (Vils tyrans) supprimée. Voici comment s’exprimait à ce sujet, le rédacteur de la Décade : « On connaissait plusieurs strophes de cette ode publiées à diffé«rentes époques. C’est pour la première fois qu'elles paraissent toutes rassemblées. L'auteur en a « changé plusieurs et en a ajouté de nouvelles. Cette ode nous semble réunir un double mérite; celui « de consacrer de grands événements par un style aussi rapide que leur succession, celui encore de « ressuciter le genre particulier d’Alcée et d'Horace. »

Avec le Chant martial de Lachabeaussière et Gossec (p. 104), nous restons dans la série des petites compositions. Celle-ci n’est, en somme, qu'une chanson avec refrain en chœur précédée d’un prélude instrumental qui est la reproduction fidèle du chœur. N'y attachons pas plus d'importance que n’a voulu lui en donner l’auteur, bien qu'il ait employé dans son orchestration tous les éléments ordinaires (flûtes, clarinettes, cors et trompettes en uf, bassons), auxquels il a ajouté la tuba corva et les hautbois, ces derniers comme doublure des clarinettes. Ce chant ne paraît pas avoir été exécuté par la suite dans les fêtes officielles.