Napoléon Bonaparte, drame en six actes et en vingt-trois tableaux

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SCENE VI. BONAPARTE, CHARLES.

BONAPARTE. Vous avez beau dire , monsieur mon secrétaire , la France a assez de république. Le Directoire a fait plus contre elle que la Montagne. — Et voyez ce qu’il reste de vieux Romains! — Sur trois millions cinq cent soixante-quatorze mille huit cent quatre-vingt-dix-huit votes, deux mille cinq cent soixante-neuf seulement sont négatifs. Vous voyez donc bien que c’est la France entière qui me donne le titre d’empereur, — et non moi qui le prends.

CHARLES. faire…

BONAPARTE. Non, non, dites toujours : Citoyen premier consul. (Regardant sa montre.) Vous avez encore une heure à être républicain. — Eh bien! que disiez-vous ?

CHARLES. Je disais, citoyen premier consul, que vous auriez beau faire, les

sois de l’Europe vous regarderaient toujours comme leur cadet.

BONAPARTE. Eh bien! je les détrônerai tous, et alors je serai leur aîné.

CHARLES. Prenez garde, si vous refaites le ht des Bourbons, de n’y pas coucher dans dix ans.

BONAPARTE. Monsieur mon secrétaire ! donnez-moi la liste des maréchaux de l'empire, — que je la signe. — Appelez les noms.

CHARLES. Berthier, Murat, Moncey, Jourdan , Masséna , Augereau, Bernadotte, Soult, Brune, Lannes, Mortier, Ney, Davoust, Bessières, Kellermann, Lefèvre , Pérignon et Serrurier.

BONAPARTE. Dix-huit républicains! Æh bien ! vous verrez si un seul refusera le bâton de maréchal , parce qu'il lui sera donné par la main d’un empereur. — Je n'ai qu'un regret aujourd'hui : c’est de ne pouvoir joindre à cette liste les noms de Desaix et de Kléber. Votre misérable Directoire! s’il ne m'avait pas oublié — ou plutôt confiné en Esvpte ; s’il m'avait envoyé, comme il me l'avait juré, hommes et argent, je n'en serais pas revenu comme un fugitif. — IL est vrai qu'arrivé j'ai pris ma revanche. — Quels ämmenses projets cette bicoque de Saint-Jean-d’Acre est venue renverser! Si je l'avais prise, je trouvais dans la ville les trésors du pacha etdes armes pour trois cent mille hommes: je soulevais et j’armais toute la Syrie ; je marchais sur Damas et Alep; je grossis-

Votre Majesté aura beau

du

LE MAGASIN THÉATRAIS

sais mon armée de tous les chrétiens, des Druses , et des mécontens que je recrutais, à mesure que j’avançais dans le pays ; j'arrivais à Constantinople avec des masses armées ; je fondais dans l’Orient, à la place de l’empire turc , un nouvel et grand empire qui fixait ma place dans la postérité , et peut-être revenais-je à Paris par Andrinople ou par Vienne , après avoir anéanti la maison d'Autriche... — Tout cela pouvait être, — et tout cela est à refaire. (Un silence.) Combien le port de Boulogne contient-il de bâtimens de descente ?

CHARLES. Neuf cents. Et à quand notre entrée à Londres ?

BONAPARTE. Je n’en sais rien encore. Oh! c’est par l'Inde, c’est dans l’Inde qu'il faut l’attaquer ; c’est dans son commerce , et non dans son gouvernement qu'il faut l’atteindre. Quand je serai maître de tous les ports de la Méditerranée et de l'Océan ; quand, sous peine de désobéir à ma volonté, on ne pourra y recevoir une voile anglaise , nous verrons !...

CHARLES. Mais pour cela il vous faut une monarchie européenne.

BONAPARTE, se mellant à griffonner. Oui, quand je l'aurai! Fou que je suis !... Voilà de bonnes plumes.

CHARLES. C’est que je les taille moimême, attendu que, chargé de déchiffrer votre écriture, il est de mon intérêt que vous ceriviez Le moins mal possible.

BONAPARTE. Oui, oui. { Le regardant Jixement.) Que pensez - vous de moi, Charles ?

CHARLES. Mais je crois que vous ressemblez à un architecte habile, vous bätüssez derrière un échafaudage que vous ferez tomber quand tout sera fini.

BONAPARTE. Vous avez raison; je ne vis jamais que dans deux ans. —Ecrivez : « L'Ecole Polytechnique recevra désormais une organisation toute militaire. Les élèves porteront des uniformes, et scront assujétis à la discipline des casernes. » — J’en veux faire une pépinière de grands hommes. Ce sera des généraux pour mon successeur. — J'ai bien fait de retrancher une lettre à mon nom : je gagne une signature sur neuf.

CHARLES. Si vous voulez signer ?

(On entend sonuer les cloches.)

BONAPARTE , s’’#errompant. Laïssezmoi écouter le son des cloches ; vous savez combien je l'aime.

CHARLES. Surtout le son de celles-ci, qui vous annoncent que dans une demiheure le premier consul Bonaparte sera l'empereur Napoléon.