Napoléon Bonaparte, drame en six actes et en vingt-trois tableaux

NAPOLÉON. 23

Ve

NAPOLÉON. Ah! c’est la défense de recevoir aucun dépôt et de prêter sur nantissement, n'est-ce pas? Ajoutez: le Mont-dePiété de la ville de Florence est conservé. Tous les actes relatifs à l'établissement seront exempts des droits de timbre et d’enregistrement. De cette manière on pourra pr être à huit pour cent aux malheureux qu on ruine en leur prêtant à quinze et à vingt. — Quel est celui-ci?

LE MINISTRE. La création d’une commission spéciale pour l’exécution des travaux de redressement et d’élargissement du Gardon.

NAPOLÉON. Bien. Dieu aïdant, j'espère que dans dix ans la France sera traversée en tous sens par trente canaux navigables. — Et celui-ci ?

LE minis rRe. Un réglement sur le Théâtre-Français, sur les emplois des sociétaires, sur les pensions , — sur celle de Talua , qui est portée à trente mille (Tape 1

NAPOLÉON, Donnez, si nous passons l’hiver à Moscou, je veux y avoir la moitié de ma troupe ; je lui enverrai l’ordre d’être ici à la fin d'octobre. — je cela ? — ce ne peut être Le jour encore?

CRIS DANS LA RUE. Le feu! le feu!

NAPOLÉON, s‘élançant vers la fenétre. Le feu au Palais marchand, au centre de la ville, dans son plus viche quartier! Malheur! c'est quelque soldat ivre qui nous incendie un palais.

MORTIER, errant. Sire, sire, le feu !

NAPOLÉON. Eh bien! je le sais, je le vois d'ici. — Ah! je ne me trompe point: par là, vers la porte de Dorogomilow! Ce feu encore!.... — Trévise, eh bien! vous le voyez, je vous charge de la police de la ville; je remets Moscou, la riche Moscou endormie, entre vos mains, et voilà que de tous côtés les flammes surgissent !…

MORTIER. Sire, | je ne sais, mais les flammes sortent des maisons fermées ; le feu a été mis intérieurement.

NAPOLÉON. Le feu mis, oui, par quelque pillard qui aura voulu séparer F or de létoffe.….—Oh ! voyez, voyez, et qu'on porte des secours.

MURAT) entrant. Sive , les pompes sont brisées; c’est un complot, ce sont les Russes qui nous brülent;—ils ont changé Moscou en une machme infernale.

NAPOLÉON. Voyez comme le feu accourt ! le vent estdonc complice ?

L'ESPION, entrant. Sire, sire, pardon! mais tout brule, tout est ei feu.

NAPOLÉON, Et qui brûle la ville? qui a mis le feu?

L’espron. Les Russes , les Mougiques,

NAPOLÉON. Impossible.

L'ESPION. Regardez , et voyez-les courir au milieu de cet enfer de flammes.

NAPOLÉON. Faites faire feu dessus, tuezles comme des bêtes féroces!..... — mais cette ville est donc bâtie de sapin et de résine ?

DES CRIS , au dehors. Le feu au Kremlin ! le feu!

MURAT. Sortons, sire, sortons.

NAPOLÉON. Oh ! restez, messieurs! n’a vez-vous pas peur que ce palais vous tombe sur la tète?— Restez et écoutez: À la lueur des flammes de Moscou allumées par les: Russes, guerre éternelle aux Russes! Ils nous chassent de leur première capitale: — poursuivons-les dans la seconde. Laissez brüler et écoutez-moi.

LES SOLDATS , au dehors. L'empereur ! l’empereur !

NAPOLÉON , de la fenétre. Me voilà , enfans , ne craignez rien. Je veille sur vous. Dieu sur moi. Laissez brüler, messieurs, et si le feu épar, gne quelque ché, anéantissez ce que le feu épar gnera. A compter de cette heure, Moscou n ’existe plus sur la carte du monde; la Russie n’a plus qu’une capitale : c’est Saint-Pétersbourg, et dans douze jours nous y serons.

Tous. Saint-Pétersbourg !

UN MARÉCHAL. Sire, Y FORGE VO Saint-Pétersboure , impossible ! !

NAPOLÉON. Et c’est vous, soldats de fortune, enfans de la guerre, qu’une si grande résolution étonne ? Ne VOYyEz-vous pas que nous sommes tous perdus si nous reculons? L'hiver, l’âpre hiver de la Russie va nous saisir à moitié fonte de la France.

UN MARÉCHAL. Sire , sire, le feu!

NAPOLÉON. Et que ferez-vous alors ? Mes soldats, mes enfans, que feront-ils quand vos mains et les leurs se gèleront sur la poignée de vos sabres et les canons de leurs fusils ; quand ils tomberont à chaque pas etqu'ils ne pourront plus se relever; quand il faudra qu'ils reculent au milieu de l’hiver par une route dévastée par leur passage? — Notre force est plutôt morale que matérielle : un prestige nous entoure. Jusqu'à présent nous sommes les invincibles ; un pas en arrière, et le prestige est détruit. Voilà Moscou. , Paris , Saint-Pétersbours ; — voyez et choisissez,

LES MARÉCHAUX. Paris.

NAPOLÉON. Ah! oui, Paris! Là sont vos hôtels splendides , vos voitures à six chevaux ; VOS terres presque royales. Paris! et y arriverez-vous à ce Paris qui vous rend timides, lâches, traitres?