Napoléon Bonaparte, drame en six actes et en vingt-trois tableaux

28 LE MAGASIN THÉATRAÏ;

flement des boulets ; quelques artilleurs tom-

bent.)

UN ARTILLEUR. Sire , éloignez-vous,

NAPOLÉON. Ne soyez point jaloux, mes amis : — c’est mon ancien métier.

UN ARTILLEUR. Sire, c’est un véritable ouragan de fer. Eloignez-vous.

NAPOLÉON. Soyez tranquilles, mes enfans ; le boulet qui me tuera n’est pas encore fondu. Ah! les voilà qui débouchent au-delà de la ville! Courez, monsieur ; que le général Pajol se porte sur Montereau par la route de Melun. Où donc est le corps du duc de Bellune? Ah! je Les tiens dans mes deux mains... Je les tiens tous! Faudra-t-il encore qu'ils me glissent entre les doigts! Bellune, pourquoi n’arrive-t-il pas de l’autre côté de la Seine ?

UN AÏDE-DE-CAMP , accourant. Sire, il est arrivé trop tard pour passer la Seine à tems ; il était fatigué. Il s’est mis à la poursuite de l’ennemi.

NAPOLÉON. Trop tard... fatisué! Suis-je fatigué, moi! Mes soldats sont-ils fatigués, eux? Non, nous nous comprenons trop bien pour être fatigués.Courez dire au général Château de prendre deux mille hommes de cavalerie et de couper la retraite.

UN AIDE-DE-CAMP. Il est tué.

NAPOLÉON. Château tué! c’étaitun brave. Bellune ! Bellune !.. Ils ne veulent plus se battre. Ils sont trop riches, tous ! Je Les ai gorgés de diamans; il leur faut du repos dans leurs terres, dans leurs châteaux !..… ( A un aide-de-camp.) Allez dire au général Gérard de prendre le commandement du corps d'armée du général Victor , et à Victor que je lui permets de se retirer dans ses terres. Allez. Que de tems perdu !

LES SOLDATS , arrivant. Vivel’empereur!

NAPOLÉON , regardant avee sa lorgnetle. Qu'est-ce qu'ils font donc? Comment le général Guyon n’est-il pas là avec ses chasseurs et son artillerie ?

UN AIDE-DE-CAMP. L’ennemi Les a surpris et a enlevé ses pièces.

NAPOLÉON. Ses pièces ! Il a laissé prendre ses pièces ! Allons, voilà qu'ils ne tirent plus maintenant!

UN ARTILLEUR, Zraversant. Des munitions! Camarades, avez-vous des munitions?

NAPOLÉON. Qui t'envoie ?

L’ARTILLEUR. Le général Digeon.

NAPOLÉON. Comment Digeon! Digeon, ce brave, lui aussi les munitions lui manquent! Comment n’a-t-il pas pris ses précaütions? Croit-il que mes batailles soient des éscarmouches où l'on tire cinq cents coups de canon! Lui! lui! un de mes

meilleurs géhéraux d'artillerie ! Allez, allez, il est trop tard. Laisser pour la dixième fois s’échapper l’armée: ennemie, que pour la dixième fois je tenais à bras le corps! D'où arrives-tu , toi ?

L’ESTAFETTE. De la forêt de Fontainebleau. NAPOLÉON. Montbrun da défend toujours, j'espère ?.… :

L'ESTAFETTE. Il a été obligé de l’abandonner aux Cosaques.

NAPOLÉON. Ainsi, encore une victoire inutile; encore du sang perdu! Et tout cela, parce que Bellune n’a pas marché assez vite!.….. Fatigué! fatigué! et moi, vais-je en berline? Ah! je ferai juger Digeon par un conseil de guerre, et malheur à lui !

LE GÉNÉRAL SORBIER. Sire , vous savez que Digeon est un brave.

NAPOLÉON. Si je le sais! c’est justement parce que je le sais qu’il est plus coupable. Quel exemple pour Les autres ! Monsieur le général, il y a des exemples qui sont pires que des crimes.

LE GÉNÉRAL. Rappelez-vous sa belle charge de Champ-Aubert, ses deux chevaux tués à Montmirail, ses habits criblés de balles à Nangis!

NAPOLÉON. Oui, oui; au fait, n’en parlons plus.

(Une estafette apporte une lettre.)

NAPOLÉON, après l'avoir lue. Murat aussi! Murat, pour qui je devais être sacré ; Murat, mon beau-frère; il se déclare contre moi!..……. Allons, voilà l’armée de Lyon devenue inutile.

UN AIDE-DE-CAMP. Un courrier.

NaPOLÉON. De qui?

LE COURRIER. Du duc de Trévise.

NAPOLÉON. Eh bien ! il poursuit l’ennemi du côté de Château-Thierry, n'est-ce pas. et il le reprendra entre lui et Soissons ?….

LE COURRIER. Soissons est rendu.

NAPOLÉON. Quel est le général qui y commandait ?

LE COURRIER. Le général Moreau.

NAPOLÉON. Ce nom-là n\’a toujours porté malheur. Voilà encore un plan de campagne changé ! L’ennemi s’avance sur Paris par Villers-Cotterets et Nanteuil.…

LE COURRIER. Il est à Dammartin.

NAPOLÉON. À dix lieues de ma capitale ! Pas un instant à perdre pour la sauver... Allons, messieurs... Ah ! nous lui ferons payer cher son audace!.. Il s’aventure au milieu de nos provinces et nous laisse derrière lui pour lui fermer la retraite: Depuis le commencement de la campagne j’ai rêvé cette manœuvre. Partez, messieurs,