Napoléon Bonaparte, drame en six actes et en vingt-trois tableaux
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l'enfant que j'avais élevé sous ma tente ; lui à qui je disais de veiller quand je dormais ; lui un trahisseur ! Oh! il sera plus malheureux que moi... Laissez-moi seul , messieurs.
CAULAINCOURT. Sire…
NAPOLÉON. Laissez-moi seul, je vous en prie.
GouURGAUD. Sire, Fontainebleau est à découvert du côté de Paris; qu'ordonnezvous, sire ? ‘
NAPOLÉON. Rien. (Us sortent.) Ah! c’est un infâme abandon... Je le vois bien : les alliés me craignent , autant comme général de mon fils que comme empereur de France... Mon enfant ! mon pauvre enfant ! lui pour qui j’amassais des couronnes! Et c’est moi qui le prive de la sienne! Tant que je vivrai ils trembleront ! Oh! quelle idée ! Oui !... moi mort, mon fils est le légitime héritier de mon empire. Du fond de mon tombeau je ne suis plus à craindre. Lès souverains auraient honte de dépouiller l’orphelin... Que je suis heureux d’avoir conservé le poison de Cabanis ! C’est le même qu'ilavait préparé pour Condorcet (I détache précipilamment de son cou un petit sachet qu’il ouvre et dont il verse le contenu dans un verre.) Ils diront que je n’ai pas eu le courage de supporter la vie... que la mort est une fuite. Que m'importe ce qu'ils diront! N’ai-je pas ma raison en moi? (Coupant de ses cheveux et les mettant dans un papier. ) Pour mon fils. Allons, + allons; c’est un toast à sa fortune. ( 77 Bort). Adieu , mon fils; adieu, France.
(IL tombe assis la tête dans ses mains.) L'ESPION , de la porte. Que fait-il? NAPOLÉON. Ah! voilà le poison Eh
bien! Cabanis qui m'avait dit que ce poison était rapide comme la pensée... Ah !..... depuis quatre ans que je le porte sur moi, il sera affaibli... il n’a de force que pour me fairesouffrir et pasassez pour me tuer, Ah! «
L'ESPION , entrant. Plus dedoute, l’empereur est empoisonné... Sire…
NAPOLÉON. Silence !
L’ESPION. Au secours ! au secours ! l’empereur se meurt. Roustan ! Roustan ! Ah le misérable ! Jui aussi l’a abandonné. Constant! Personne! (1/ sonne.) Ah! si le Sang était du côntre-poison !.. au secours ! au Secours !
NAPOLÉON. Îl n’en est pas besoin. Le poison est comme les boulets. La mort ne veut pas de moi.
CAULAINCOURT , entrant. Qu’y a-t-il?
L’ESpiON. Âh! monsieur le duc , où est le médecin Ivan ?... s
ne se peut pas.
LE MAGASIN THÉATRAL.
CAULAINCOURT. Il part à l'instant même à cheval... Mais qu’a donc l’empereur ? L’ESPION. Il s’est. ‘ NAPOLÉON, à l’espion. Silence > SUT ta tête! (A Coulaïnçourt. ) Rien, monsieur le duc... une indisposition... (4 pari.) Dieu ne le veut pas! CAULAINCOURT.
Que votre majesté est pâle !... :
NAPOLÉON. Monsieur le duc, quelle est :
la résidence qu’on n'accorde si j’abdique?...
CAULAINCOURT. Corfou , la Corse ou île d’'Elbe…
NAPOLEON. Je choisis l’île d’Elbe. Me permet-on d'emmener quelqu'un de ma maison ou de mon armée ?
COULAINCOURT . Quatre cents grenadiers, et les personnes de votré maison que vous désignerez. Si votre majesté se décide, Bertrand, Drouot et Cambronne demandent la fayeur de yous suivre.
NAPOLÉON. Eux ne m'ont jamais rien demandé aux jours de ma fortune. z La
postérité récompensera les courtisans dut’
malheur. (1! s'approche lentement de la table et écrit.) « Les puissances alliées ayant » proclamé que l’empereur Napoléon est » le seul obstacle au rétablissement de la » paix en Europe , l’empereur Napoléon, » fidèle à son serment, déclare qu'il re» nonce pour lui et ses enfans aux trônes » de France et d'Italie, et qu’il n’est aucun » sacrifice , même celui de sa vie, qu'il » ne soit prèt à faire aux intérêts de la » France.
» Le 6 avril 1814. »
Etes-vous content, monsieur le due?
CAULAINCOURT. Je n’ai plus qu’une grâce à vous demander.
NAPOLÉON. Laquelle ?
CAULAINCOURT. Que votre majesté me permette de l’accompagner à l’ile d’Elbe.
NAPOLÉON. Vous, Caulaincourt ? Cela
CAULAINCOURT. Sire…. ;
NAPOLÉON. Retournez à Paris, votre présence y est attendue ayec impatience. (A un huissier.) Allez dire au général Petit de mettre ses soldats sous les armes dans la grande cour... Je veux dire adien à mes braves pour la dernière fois. Adieu , Caulaincourt; la France me regrettera! et tous ceux qui auront pris part à ma ruine! seront un jour maudits par elle. Adieu, Caulaincourt, adieu.
CAULAINCOURT , /ui baisant la main. Adieu, sire.… (EL sort par le fond.—Napoléon prend son chapeau .
sur la table, reste un instant pensif et sort par la gauche.—Le théâtre change.)