Oeuvres politiques de Fabre d'Églantine

PORTRAIT DE MARAT 253

d'accord de l’urgence ou de la possibilité des moyens qu'il proposait : l'événement ensuite venait-il à justifier sa façon de voir et d'agir (et cela-est souvent arrivé), il n'est pas étonnant que l’accomplissement de ses prédictions et son triomphe lui donnassent de l'orgueil; cet orgueil, paraissant juste, en était moins choquant; là commençait la vanité ; de là s’ensuivaient quelques petits accès de fatuité, que j'appelle politique, puisqu'elle n'avait de rapport qu'à la Patrie : mais comme il avait un esprit juste et un bon esprit, ces petites échappées ne duraient qu’un instant; et comme leur effusion brusque, exaltée et folle, n'attirait l'humeur ni les reproches de personne, il était toujours le premier à les réprimer et à rentrer dans sa bonhomie naturelle, car il en avait.

Ï avait plus que de la bonhomie: L'une des bases de son caractère était cette pudeur ineffaçable qu’engendrent et nourrissent toujours, dans une âme honnête, la simplicité, l'amour du vrai, le sentiment du beau et du bon; aussi rien ne l'indignait plus que limpudence. L'aspect de l’effronterie unie à la dissimulation, tantôt lui donnait des accès convulsifs, tantôt lui donnait, dans le discours et jusque dans l'attitude, une dignité mâle, une fierté grave, sous lesquelles sa petite stature disparaissait, et qui en ont imposé plus d’une fois à ses effrénés antagonistes. Je vous rappelle à la pudeur, était alors sa locution favorite : et quoiqu'il ait eu souvent besoin d'en user, l'expression qu'il y mettait en était si fortement sentie, qu’elle ne parut Jamais parasite dans sa bouche.

J'ai dit que Marat avait de la bonhomie : c'est à cette qualité, que peu de gens savaient déméler en lai,

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