Orateurs et tribuns 1789-1794

74 ORATEURS ET TRIBUNS.

des éternités en un instant. Comme don Juan, le héros de l'amour, cherche à épuiser pendant sa jeunesse toutes les joies de la terre, ces don Juan de la politique mettent des siècles dans une année, des années dans un mois et se hâtent de vider la coupe: ils tombent, et, à peine renversés, d’autres prennent place dans le char infernal. La plupart meurent jeunes : Mirabeau à quarante-deux ans, Camille à trente-trois, Robespierre, Danton à trente-cinq, Barnave à trentedeux, Saint-Just à vingt-six ; les Girondins ne dépassent guère trente-six ans. La Révolution choisit ses instruments parmi ceux qui n’ont point encore servi: elle les lance, les pousse en haut, et les broie après qu'ils ont rempli leur tâche : pour elle tout est bon, tout est indifférent, tout est successivement soleil et nuit, tempête et chaleur. Semblable à la fatalité antique, cruelle comme les anciens dieux mexicains, impassible comme l'idole de Jaggernat, elle continue sa marche vers l’inconnu, moissonnant chaque jour davantage dans le champ de la vie humaine, sourde à la pitié, sourde à son propre intérêt, écrasant ses pontifes et ses incrédules, ses serviteurs fidèles et ses adversaires, conduite par deux puissantes divinités, la peur et l'envie.