Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits
658 LA NOUVELLE REVUE.
tendait pas devenir l'ami de la République; il consentait au libre commerce par mer, mais à la condition que le négoce ne se ferait que par l'intermédiaire de bâtiments neutres et exigeait que les sujets d’une puissance ne pourraient être admis sur le territoire de l’autre qu'en vertu d’une autorisation préalable; finalement il subordonnait la conclusion du traité de paix à l'issue satisfaisante des négociations pendantes entre la France d'un côté, l'Autriche et l'Angleterre de l’autre. Le chancelier consterné de ce brusque revirement obtint avec beaucoup de peine que le rescrit projeté ne serait pas envoyé à Panine, mais qu'on inviterait celui-ci de suspendre sa négociation avec Caillard, tout en tâchant de maintenir ce ministre dans ses dispositions conciliantes et sauf à le prévenir que la Russie était obligée à adapter sa conduite à celle de ses alliés et ses pourparlers aux leurs. Besborodko écrivit dans ce sens à Panine en s’efforcant de donner à la décision une tournure conforme à la dignité de sa cour. Dans les lettres à ses amis il qualifiait la mesure d’« impolitique » et l’attribuait à l'influence de l’impératrice qui aurait dit à l'empereur qu’elle était enchantée de sa rupture avec les Français (1). Quant à Panine, il jubilait et ne cachait pas sa joie de ce que cette négociation confiée à ses soins n'ait « heureusement » pas eu de suite.
A Paris, on était tout aussi peu satisfait du projet de Caillard, bien que pour des motifs différents. On le trouvait par trop conciliant et en plus d’un point contraire à la dignité de la République. Talleyrand le soumit à un minutieux examen et communiqua à Caïllard ses observations approuvées par le Directoire. Il est curieux de comparer l’instruction que reçut cet envoyé avec celles du comte Panine déjà citées. On verra combien les points de vue des cabinets russe et francais différaient encore et étaient difficiles, sinon impossibles à concilier.
Après avoir rappelé à Caillard que ses premières instructions lui prescrivaient « de réduire aux stipulations strictement nécessaires le traité qu'il était chargé de conclure », le ministre des relations extérieures constatait que les instructions du comte Panine « paraissaient lui recommander aussi d’être sèmple et bref ».— « Or, continuait-il, Le directeur n’a point trouvé que le
(4) Le prince Besboroko au comte Alexandre Woronzoff (Archives du prince Woronzoff, XIII, p. 397). C'est à tort que cette lettre est classée dans ce recueil sous l’année 1798. D’après son contenu, elle remonte au mois d'octobre ou de novem-* bre 1797.