Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

2 ASSEMBLÈÉE

imaginaire n'existait que dans l'opinion, se flatte d'exister toujours, quoique cette opinion soit détruite. Elle a tâché de ressusciter l'esprit altier de la féodalité dans des temps où la féodalité n’était plus, et de porter les idées chevaleresques du douzième siècle au milieu des lumières du dixhuitième. Ainsi les corps ne s’aperçoivent pas, en vieillissant, que leurs maximes vieillissent avec eux, et que lorsque tout est changé autour d'eux, il faut qu'ils changent eux-mêmes ou qu'ils périssent. Comment de tels édifices pourraient-ils subsister, quand les étais de l'opinion publique ne les soutiennent plus ?

Le clergé cherche encore, dans une religion qu’on appelle de paix, des prétextes et des moyens de discorde et de guerre; il brouille les familles, dans l'espoir de diviser l’état: tant il est difficile à ce genre d'hommes de savoir se passer de richesses et de pouvoir ? Mais les lumières, en se communiquant bientôt aux dernières classes des citoyens, les affranchiront de la plus dangereuse de toutes les servitudes , l’esclavage de la pensée. Alors, ou les prêtres seront citoyens, ou lon ne voudra plus de prêtres.

Tous ces pouvoirs abusifs, dont la barbarie des premiers temps et le despotisme des derniers avaient accru le nombre, ont disparu du milieu de nous. Ils s’appuyaient du despotisme du trône même, qui les avait créés comme des instrumens utiles à son autorité. Aussi ont-ils affecté, pendant deux ans. un attachement hypocrite à l'autorité royale, dontils se disaient les défenseurs; et les amisdes priviléges se sont dits les amis du roi. Mais l'hypocrisie n’a des succès que lorsqu’elle parle à la crédulité. Dès que Louis XVI a consenti lui-même à ce que l'autorité royale fût restreinte, il ne leur est plus resté de prétexte, et l'on ne les a plus vu que s’agiter franchement pour reconquérirleurs propres priviléges. Ils seront forcés néanmoins à ne plus vivre que de ressouvenirs; car, malgré les mouvemens particuliers qu’ils pourront exciter encore, la masse de la France est assise, la constitution est faite, et le moment est venu où l’on peut écrire l’histoire de la révolution.

La nation française a été soumise, pendant plusieurs siècles, à des lois arbitraires qui pesaient à-la-fois sur la vie et sur la fortune des citoyens. Le peuple, qui est tout dans les pays libres, et qui n’est rien dans les empires despotiques, était asservi à un si grand nombre de tyrannies particulières, que sa plus pure substance se dissipait en impôts, levés par la violence, ou par l'adresse, ou par la superstition, ou par les priviléges. Le roi de France lui seul levait des impôts plus considérables que plusieurs grands princes de l'Europe-réu-