Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3
80 CONVENTION
cations et les fureurs des jacobins. Une femme a porté le coup ; elle s’en glorifie; elle attend le supplice; elle n’a oint cherché à s’y soustraire : c'est Charlotte Corday. Œlle était née dans le département de l'Orne ; elle demeurait à Caen. Son père, ancien gentilhomme, conservait une fortune aisée. Elle était âgée de vingt-cinq ans, Sa figure belle et régulière , était animée du coloris le plus pur. Tout indiquait, dans ses traits et dans ses manières , qu’en s’élevant au-dessus des forces de son sexe, elle en avait conservé la modestie. Le soin de plaire lui paraissait frivole. Elle remplissait avec tendresse le devoir de la piété filiale; mais dans la vie domestique , elle avait obtenu ou s'était réservé quelque indépendance. Peut-être la fierté de son ame l’avait-elle soustraite au sentiment qui fait toute la destinée des femmes. Une seule passion l'occupait depuis long-temps, c'était celle de la liberté. Elle faisait tous Les ‘ours de la liberté, objet de son culte , un parallèle désespérant avec l’odieux fantôme de liberté présenté à la France. Quand les députés proscrits arrivèrent à Caen , elle laignit leurs malheurs, elle vit tous ceux de sa patrie. lacée trop loin du théâtre des événemens , elle en comprit mal la cause. Elle voyait des milliers de tyrans; elle crut qu'ils se subordonnaïent à un chef, et le plus féroce lui arut être le plus habile. Les deux sentimens les plus généreux, l’indignation et la pitié, remplirent Charlotte Cordayÿ d’une sorte de fanatisme. Son dessein est pris ; elle goûte déjà toute la joie d’une grande action. La sérénité de ses traits trompe ses amis et sûn père. Elle part pour Paris. Dans la voiture publique, elle montre à ses compagnons un aimable enjouement, que n’interrompent pas même les discours de quelques jacobins. Elle emploie le premier jour de son arrivée à s'acquitter de quelques commissions dont elle s'était chargée. Ges soins minutieux semblent occuper toute son attention. Le lendemain elle va au Palais-Royal acheter le couteau qu’elle doit plonger dans le cœur d’un monstre. Œlle examine , elle emporte cette arme d’un air d’indifférence. Elle se fait conduire chez Marat. L’antre du tigre lui est fermé. Son empressement a excité la défiance d’une femme que Marat appelle son amie. Elle voit qu'il est nécessaire de le tromper , elle tend un piége à sa férocité. Elle lui écrit le billet suivant, dans lequel on voit que, ar une équivoque sinistre, elle se console d’être contrainte à le flatter. « Citoyen , j'arrive de Caen; votre amour pour la patrie * » me fait présumer que vous connaîtrez avec plaisir les » malheureux événemens de cette partie de la république :