Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

EXÉCUTIF. 73

et Meuse, sous les ordres de Jourdan, devaient concerter leurs mouvemens, pour opérer le blocus de cette ville, sur les deux rives du Rhin. Je ne sais quel air de langueur se fit sentir dans les opérations de Pichegru, et fut aperçu de l'armée ennemie. Les étrangers soupconnèrent que ce ralentissement tenait plutôt à quelques dégoûts secrets du général qu’au découragement de ses soldats : ils mirent tous leurs soins à le pénétrer, à le séduire. Quoiqu'il semblât marcher au-devant de ceux qui avaient tant d'intérêt à le rechercher, le mauvais génie des coalitions apporta des obstacles à un traité important et honteux. Des commissaires anglais, tout orgueilleux de l'or qu’ils apportaient, des chefs d’émigrés, jaloux d’attacher à leur parti l’un des chefs les plus distingués de l’armée française, des généraux et des ministres autrichiens, défians et maladroits, se disputaient la conquête de Pichegru avant qu’elle fût faite, le marchandaient sans l'acheter, et le fatiguaient sans exciter son indignation. Les agens de cette intrigue furent des hommes obscurs. La correspondance se lia avec le prince de Condé. Je dirai dans la suite de quelle manière ce monument fut conservé. Un général tant de fois victorieux ne sut point conserver sa dignité dans cette importante circonstance : seulement il paraît que Pichegru cherchait à séparer les émigrés des étrangers armés contre sa patrie, et qu’il avait cru pouvoir conduire le projet de faire proclamer Louis XVIII par une armée républicaine , sans mêler ses étendards avec ceux des ennemis. Des dignités, des terres, des richesses, étaient offertes au général français, dont la gloire jusque-là surpassait tous ces dons. Le prince de Condé ne fit que lentement, et avec mille signes de répugnance, des promesses vaines et disproportionnées encore à l’immense service qu'il attendait. Un autre négociateur, envoyé par Louis XVIII, eut quelque peine à ranimer cette correspondance, qui se prolongeait sans résultats. On n'avait jamais vu un général si prompt à lier des intelligences secrètes, si lent à en assurer les effets : il travaillait sans fruit, mais aussi avec peu d'activité, à corrompre son armée; il affaiblissait la discipline, sans affaiblir un patriotisme que tant de victoires avaient exalté. On faisait entendre aux soldats des chansons où les institutions républicaines étaient avilies; mais les soldats répétaient avec prédilection leurs chants républicains ; ils voyaient circuler dans les tentes de l’étatmajor, et jusque dans leurs rangs, des étrangers, des émigrés déguisés en marchands, en colporteurs ; ils les laissaient passer sans ombrage, et les écontaient froidement. Pichegru semblait rétrograder lentement dans l'infidélité depuis qu'il

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