Revue critique d'histoire et de littérature : Voyslav M. Yovanovitch. «La Guzla», de Prosper Mérimée; étude d'histoire romantique.

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noble il ya, comme le titre l’annonce, une étude sur la fameuse supercherie de Mérimée, les conditions dans lesquelles elle a été exécutée, la nature delà documentation du mystificateur; mais il ya, autour de cette recherche centrale, un tableau fragmentaire des relations de la France, et parfois de l’Occident européen, avec le folk-lore serbo-croate. Mince sujet de littérature comparée, pourrait-on croire: mais la conscience et le zèle de M. Yovanovitch ont su en faire quelque chose de fort utile à l’histoire du Romantisme, avec des rattachements essentiels à l'œuvre de Gœthe, de Nodier, de Byron, pour ne citer que ceux-ci. Comment certains détails d’ethnographie illyrienne passent çà et là dans le champ de l’attention occidentale; comment la conception d’un art populaire plus énergique et caractéristique s’impose peu à peu à la littérature: tel est l’objet des premiers chapitres. Le second ne saurait épuiser là question : il n’est même pas sûr qu'il en marque d’une façon assurée lesprincipaux « paliers » en s’en tenant àl’influence d’Ossian et de Percy, et la persistance de curiosités comme celle qui, chez nous, aboutiront au « genre troubadour » montre bien qu’il est périlleux de simplifier à l’excès l’histoire des modes et des goûts. Quant au premier de ces chapitres d’introduction, il fait naturellement la plus grande place au Voyage de l’abbé Fortis, donne de curieux renseignements sur la comtesse de Rosenberg et s’arrête à l’lllyrie françaisede Napoléon: nul doute que, des côtés autrichien et italien, il n’y eût encore à glaner quelques indices épars au xvm e siècle. Le « vampirisme » quedes nécessités de construction obligent M. Y. à indiquer seulement p. 25 et à examiner plus tard en détail ', a passé en particuculier par l’intermédiaire d’observateurs autrichiens. Les « improvisateurs dalmates » dont parle M me Staël dans Corinne pourraient bien, de leur côté, lui avoirété révélés par quelqu’une de ces émules italiennes de son héroïne qu’elle rencontra dans la Péninsule. Les «sources» de la permettent à M. Y. d’exercer une ingéniosité passionnée et une érudition très avisée, qui dissocie chacune des pseudo-ballades et en examine tous les éléments. Chose curieuse : il ne semble admettre nulle part que Mérimée ait pu devoir des indications ou des encouragements à des informateurs en chair et en os, semblables aux Coraï, Piccolos, Mustoxidi dont s’aidait Fauriel. On voit mal, cependant, des traits aussi essentiels et particuliers de folklore slave que « le cheval parlant » *, épinglés par Mérimée sur la

1. Le Mercure galant, de mai 16g3 risque le mot de Vpierç pour les « stryges de Russie ». Et c'est le Mercure de France de mai qui lance celui de Wampirs avant de donner le rapport des chirurgiens impériaux. Cf. sur ce sujet le Journal étranger de juillet 1708, le Discours du médecin Rey sur les vampires de Hongrie (Ms de l’Académie de Lyon, n° 136), une Lettre de L. M. au Bulletin de Lyon, 12 août 1807, un article de Nodier dans le Drapeau blanc du 2 juillet 181 g. 2. Cf. K. Dieterich. Die osteuropâischen Literaturen in ihren Hauptstrômungen vergleichend dargestellt. Tübiugen, 191 i,p. 49.