Rouget de Lisle : sa vie, ses œuvres, la Marseillaise

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y regarder, chacun apposait à la hâte la signature sur les décrets présentés. On peut expliquer ainsi que Carnot signa le mandat d’écrou de son ancien condisciple sans prendre plus d'informations. Rouget de Lisle a pu ne pas comprendre cette situation, mais il en conçut un cruel dépit, et c'est par là qu'il est possible de justifier les épithètes dont, plus tard, il caractérisa Carnot. Voilà le point de départ de l’inimitié qui sépara ces deux hommes qui, aujourd’hui, ont leur statue chacun dans leur pays en reconnaissance des services qu'ils ont rendus. Mais il faut ajouter, en dépouillant la correspondance de Rouget, qu’on y voit de la part de Carnot plutôt de la malveillance et du dédain vis-à-vis- son ancien condisciple.

Aussi, Rouget, avec un courage peu commun, a-t-il osé dire franchement ce qu’il pensait à des puissants du jour qui ne le lui ont jamais pardonné. Ses lettres ou fragments de lettres que nous allons reproduire en feront foi.

A la date du 12 prairial an VI, il écrivait à Carnot la lettre suivante :

€ Citoyen directeur,

€ Julian m'a fait part de la conversation que vous eûtes ensemble à mon sujet avant-hier soir.

« Mon respect pour le caractère auguste dont vous êtes revêtu, mon respect pour moi-même, m'imposent la loi d’une explication franche et catégorique; la voici :

« Je suis votre ennemi, Carnot; si je n’avais à vous sacrifier que mes ressentiments personnels, quelque légitimes qu’ils soient, dès ce moment tout serait oublié; mais mon inimitié porte sur des bases plus nobles que celles d’un misérable égoïsme.

« Je suis votre ennemi parce que, de tout temps, vous