Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires
LE CENTENAIRE DE LA LITTÉRATURE BULGARE 177
pas. Dans ses moments de répit il apprenait à lire aux petits paysans.
Il pensa être plus heureux en abandonnant son diocèse primitif pour passer dans celui d’Anchialo, dans la Bulgarie orientale. Là encore, il fut mis en prison, menacé du pal et, pour avoir célébré un mariage qui déplaisait à certain sultan, il fut amené jusqu’au pied d’un saule aux branches duquel il devait être pendu. Il échappa à la mort par miracle. Au milieu de toutes ces épreuves, il lui arriva un bonheur inespéré. L’évêque de Vratsa mourut; sur la demande d’un certain nombre de fidèles, Sofroni fut investi de la dignité épiscopale. Vratsa est située à peu près à moitié chemin entre Sofia et le Danube, en plein pays bulgare. Sofroni se mit à évangéliser ses ouailles, non, plus en grec, comme ses prédécesseurs, mais dans leur langue nationale. « Les chrétiens, qui n'avaient point entendu les autres évêques parler cette langue, me regardaient comme un philosophe (c’est-à-dire un savant) », dit-il naïvement. À ce moment-là, la Bulgarie était en pleine anarchie. L'autorité du sultan était presque partout méconnue : des janissaires révoltés, des kirdjalis' ravageaient les régions du Danube et du Balkan. Ce n'étaient pas de simples voleurs de grands chemins. Ils avaient une organisation militaire, des armes excellentes ; il ne leur manquait que de l’artillerie. Ils pillaient les campagnes d’une façon méthodique, enlevaient les jeunes filles et les jeunes gens. Pouqueville, dans son voyage en Morée?, nous a laissé sur eux de curieux renseignements. Ils commirent d’effroyables ravages en Bulgarie, ruinèrent de fond en comble des villes telles que Stanimaka, Arbanasi, Rahovo, Panagiourichté, Koprivstitsa, Kalofer, dont les habitants émigrèrent jusqu’à Andrinople ou jusqu’en Moldavie. À Viddin, un Bosniaque musulman, Pasvan Oglou, avait constitué un étatindépendant, s'était emparé de Roustchouk
1. Mot ture qui veut dire brigands des déserts. Le souvenir de leurs nombreux méfaits vivra longtemps encore dans l’imagination du peuple bulgare et serbe.
2. Voyage en Morée. Paris, 1803, t. III.
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