Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

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gréables qu’il raconte avec une touchante naïveté, mais dont quelques-unes sont de telle nature que je ne puis les rappeler ici. Il fit de bonne heure connaissance avec la justice turquequi, comme on sait, était peu clémente aux chrétiens et particulièrement aux Bulgares. Accusé de recel, il fut jeté en prison, les fers aux pieds. Sa famille le maria fort jeune avec une femme quelque peu orgueilleuse qui lui rendit la vie assez dure.

Il était lettré; les Bulgares manquaient de prêtres nationaux ; leur église était en grande partie tombée aux mains des Grecs. Quelques #chorbadyjis ou notables s’avisèrent un jour de lui dire: « Notre évêque va venir; nous allons lui demander de te faire prêtre. » L’évêque arriva et ils lui offrirent 70 piastres pour le décider à tonsurer leur compa-triote. Mais un autre candidat offrait 150 piastres. L'évêque, bon apôtre, transigea pour 100 piastres. Sofroni reçut l’imposition des mains le 1* septembre 1762. Mais, comme il était un peu plus lettré que la plupart de ses confrères, qui n'étaient au fond que de simples laboureurs, il fut bien vite en butte à leur jalousie. Son instruction relative lui valut toute sorte de désagréments. Un évêque le nomma épitrope économe et le chargea de prélever les contributions des fidèles. Il fut jeté en prison par un pacha turc pour répondre des impôts qui étaient dus par les giaours. Il tomba malade, s’endetta. Il n’y avait point de médecins en Bulgarie ; Sofroni dut se laisser soigner par de vieilles femmes qui usèrent de sortilèges. Pour le punir, son évêque le suspendit a divinis pendant six ans. S'il n’avait eu que ces misères morales à subir, la vie eût été encore supportable. Il faut lire dans ses mémoires le récit où il nous raconte comment, à propos d’une histoire de moutons vendus à des Turcs, il fut condamné à la bastonnade, menacé d'’étre pendu et mis aux fers. À travers toutes ses épreuves il ne se décourage

1. Le tchorbadji est proprement le distributeur de soupe, par suite notable chargé de veiller sur les étrangers et de les nourrir, gros bourgeois; le mot s’emploie encore en Bulgarie et un peu moins en Serbie.