Six lettres inédites de Gustaf Mauritz Armfelt à Francis d'Ivernois
B VIIL 3: Lettres de G. M. Armfelt 13
que je n’ai pas été payé — et non contant de cette basse vangeance il a fait vendre comme bien de la Couronne un Domaine que j'avais en Finlande!, N.B. que c’est la seule qui a été vendue ou réclamée depuis la domination des Russes. Je suis curieux de voir ce qu’il fera de ma personne, quand sous peu je vais à Petersbourg réclamer mes droits et faire valoir mes justes prétentions *. J'avoue que je compte un peu sur la probabilité qu'Alexandre verra, ou sentira, le danger de sa position, ainsi que l’abime qu’on creuse sous ses pieds, en paralysant de plus en plus tous les moyens et ressources de la Russie. Bonaparte, moins intéressé à le cajoller et à flatter son amour propre dans ce moment, comme son égale en Puissance et en droit, aidera plus qu’on ne pense à lui désiller les yeux, surtout si limprudence des Polonois, précipite les mesures, que la France prépare de longue main dans ces contrées. Comme Suédois, je ne peux que jouir de tous les maux qui affligeront un jour la Russie, mais l'incertitude qui existe dans toutes combinaisons, soit morales, soit politiques, m'ôte toute espérance de bonheur et ne me présente ce tableau que sous un seul point de vue, qui est celui de l'esclavage générale et une dépendance absolue des caprices d’un seul, également dangereuse pour celui qui occupe le Trône de Pierre I‘, que pour celui qui se cache dans la Cabane de Hoffer”*.
Au milieu de toutes ces Réflexions sinistres ou s’accroche cependant à tout ce qui donne encore quelques idées d’un caractère nationale et d’un esprit public : en jettant les yeux sur cette Isle que vous habitez, on ose réspirer et malgré toutes les défaites de ces courageux Espagnols on se laisse aller à cette douce ésperance que les peuples sauront un jour mieux venger leur avilissement et secouer leur chaînes, que les Souverains et leurs Ministres imbé-
1 Le domaine de Mustiala, dont Armfelt avait l’usufruit en sa qualité de colonel des dragons de Nyland.
? Lors de l'occupation de la Finlande, Armfelt avait été mis devant l’alternative ou de devenir russe et de garder ses biens, ou de rester suédois et de les voir confisqués. Armfelt avait opté pour la Suède, tout en engageant des négociations à Saint-Pétersbourg pour pouvoir conserver ses domaines.
# Allusion à Andreas Hofer, chef des Tyroliens insurgés, arrêté dans une cabane du Farteis par des troupes italiennes, le 27 janvier 1810, et fusillé à Mantoue le 20 février de la même année.