Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire
CAMPAGNE DE 1805 : AUSTERLITZ 57
faisaient eux-mêmes cette police et le canonnier qui eût manqué à son devoir dans cette circonstance aurait été chassé ignominieusement. Ce préjugé avait son côté avantageux; les canonniers s’attachaient à leurs pièces comme à leurs mattresses et ils se seraient crus menacés de grands malheurs si on les leur eût retirées. Dans ma course d'avant-garde, depuis Ulm jusqu'à Brünn, j'avais tant tiré de boulets et de mitraille que le grain d’une de mes pièces avait été fondu. J’ordonnai qu'on prît au parc un canon de rechange : toute la batterie me supplia de conserver la pièce et mon maréchal des logis Leroux trouva le moyen de faire remettre un grain dans la ville même de Brünn.
L'armée française était peu nombreuse; cette course précipitée de Boulogne en Moravie avait laissé la moitié des soldats en traînards; les régiments de cavalerie ne comptaient d’abord pas plus de deux cents hommes, mais chaque jour les cadres se remplissaient. Quant à moi, j'avais remplacé toutes mes pertes. Huit jours se passèrent au bivouac presque sans vivres. J'avais eu précédemment l'habitude de détacher tous les jours dix canonniers, qui prenaient une direction au loin et revenaient quelques heures après m’apportant des provisions de toute espèce; quelquefois méme ils obligeaient les paysans à venir avec des charrettes livrer leurs propres ressources. Mais là, il n’en était pas ainsi; je n’avais plus les mêmes avan-