Sur un portrait inédit de Naundorff : (1832)

SUR UN PORTRAIT INÉDIT DE NAUNDORFF it

rité absolue où totale, — et c'est là le point important. Ce premier portrait doit être déjà, à sa manière, un portrait faux. La tête et l'attitude de Naundorff y visent déjà à être une tête et une attitude royales. En d’autres termes, nous avons sous les yeux le plus lointain essai de déformation que nous connaissions, et le plus gauche, le plus allemand. Tout ce qu'on a pu faire outre-Rhin pour transformer Naundorff en roi et en Louis XVII, c’est de le donner tel qu'il est là, avec ses bajoues, sa grande bouche, sa figure hexagonale, ses petits yeux, ses cheveux crépus.. et noirs, étc., etc. On n’a pas pu lui enlever cela, on ne l’a pas osé encore, ou plutôt on n’y a pas pensé. C’est plus tard qu’on y songera.

À cette heure, on songe surtout à la pose, à l’air mélancolique et crâne, à la redingote de velours vert posée pour la première fois sur le torse de cet ouvrier allemand. On utilise habilement les souvenirs de Bonaparte pour dissimuler sous l’habit quelque grosse patte d’horloger dans les veines de laquelle ne coulait point de sang bleu.

Exäminons donc en détail ce monument heureusement näïf et les renseignements qu'il peut fournir sur l'aspect de Naundorff à la fin de 1832.

Nous contemplons un Prussien criant. Naundorff a la tête forte, le front assez haut et dégarni, le crâne en pointe, les joues larges et un peu flasques, un double menton, une bouche très fendue et assez nettement dessinée, la lèvre inférieure tombante. Ses oreilles sont démesurées, son nez, qui n’est ni Bourbon, ni Habsbourg, paraît, aux ailes, d’une largeur considérable. Ses yeux, normalement écartés, sont fort peu ouverts et petits (surtout l'œil droit) et d’ailleurs assez vifs: Leur teinte est d’un bleu à peine tirant sur le gris. Quant aux sourcils, Naundorff les a très arqués, surtout celui de l’œil droit (qui, dans tous ses portraits, forme un véritable accent circonflexe). Enfin, les cheveux, l’argument le plus accusateur contre son identité prétendue, les cheveux frisent presque comme ceux d’un nègre. Et ils sont noirs, d’un noir blanchissant ou grisonnant, mais enfin noirs, indéniablement noirs. Les « côtelettes », telles qu’on les portait alors, ne donnent pas d'indication particulière. Et je ne vois plus guère à signaler dans le visage que le teint qui est rouge, presque rouge trés et la fossettée du ménton. Répétons-le : c’est une tête d'Allemand. Le peintre s’est appliqué, sans doute, à y projeter quelque distinction et à la rajeunir. Il est, d’ailleurs, possible que le regard et la pose de Naundorff aient eu habituellement cetté espèce d’insolence ou d'assurance, de même que ses épaules, commé celles de son portrait, semblent avoir été tombantes.