Trois amies de Chateaubriand
192 TROIS AMIES DE CHATEAUBRIAND
soit bien facile de mentir tout à fait. En somme, Chateaubriand et Mme Récamier s’aimèrent toute leur vie durant, et avec sécurité depuis le temps que leur amour devint une tendre amitié.
Cela, cette transformation délicate, ce fut l’œuvre avisée et charmante de Juliette Récamier : elle avait jusqu’au génie l’art du sentiment. Elle avait aussi la fine expérience de ces détours, elle qui de tous ses plus chauds adorateurs sut faire de parfaits amis. Mais, cette fois, cette Pénélope industrieuse n’eut pas à rapetasser seulement le cœur d'autrui : c’est à son cœur, à son doux cœur de femme qu’ elle dut elle-même faire la reprise, la reprise perdue. Elle y eut probablement plus de peine et souffrit davantage. À la fin de mai de l’année 1825, Juliette revint à Paris. René était à Reims, pour le sacre de Charles X. Il y était avec amertume, avec orgueil, avec la colère d’une ambition mal satisfaite. Quand il fut de retour, Juliette l’appela : elle était rentrée dans sa « cellule » de l'Abbaye-au-Bois; et elle Pattendait. Ils se revirent. Laissons à Mme Lenormant le soin de raconter ce recommencement d’une tendresse que maintes douleurs ont menée à sa perfection : « El accourut le jour même, à son heure accoutumée, comme s’il fût venu la veille. Pas un mot d’explication ou de reproches ne fut échangé; mais, en voyant avec quelle joie profonde il reprenait les habitudes interrompues, quelle respectueuse tendresse, quelle parfaite confiance il lui témoignait, Mme Récamier