Trois amies de Chateaubriand
MADAME RÉCAMIER 193
comprit que le ciel avait béni le sacrifice qu’elle s'était imposé, et elle eut la douce certitude que désormais l’amitié de M. de Chateaubriand, exempte d’orages, serait ce qu’elle avait voulu qu’elle fût, inaltérable, parce qu’elle était calme comme la bonne conscience et pure comme la vertut, »
Ces quelques lignes sont charmantes; et elles ont exactement le son de la vérité. Il vaut mieux que Mme Lenormant ne collabore pas avec Guizot et qu'avec la finesse d’une femme elle dise modestement ce qu’elle a vu, ce qu’on lui a dit, ce qu’elle a eu le tact ingénieux de comprendre à demi-mot. C’est bien ainsi qu'ils se revirent, Juliette et René qui s’étaient aimés d’ardent amour. Après une séparation de dix-huit mois, après un grand effort de volonté que fit Juliette et après un terrible accès de frivolité auquel René céda l’on sait comment, ils se revirent avec moins d’embarras qu'on ne l’imaginerait. Peut-être même s’étonnèrent-ils de l’angoisse qu’ils avaient éprouvée tous les deux et admirèrent-ils la facilité de leur retrouvaille. Le temps avait passé entre eux, le temps qui use le contour des objets et organise leur voisinage, le temps qui assemble en douce harmonie les couleurs rudes, le temps qui est le prince de l'habitude, le roi du silence et de la paix, le maître de ce sentiment que les hommes appellent indifférence et les dieux sagesse, ou bien jeme trompe. Les dieux ont raison et les
4. Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Réca-
mier, tome II, p. 181. 17