Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
106 CHAPITRE TROISIÈME.
eut échange de lettres aigres-douces, puis de récriminations violentes. Dufour fut chassé, et se vengea, comme il put, par les plus basses médisances.
Un autre auxiliaire était Goujon, Marseillais d'humeur pétulante et provocante; il faillit amener un conflit diplomatique entre Venise et la France en insultant bruyamment, sur la place Saint-Mare, l'interprète Venture, qu’il rencontra portant la cocarde tricolore. L'affaire fut étouffée par les bons offices du ministre espagnol, mais Goujon fut congédié et se vengea en traitant un jour son patron comme il avait traité Venture. Un jeune homme d’origine piémontaise échappé au siège de Toulon, Minoja, était chargé de la correspondance italienne.
Mme d’Antraigues mère écrivait régulièrement à son fils. Elle vivait à Rome sous la protection de l'ambassade espagnole, au milieu d’une société grave et presque mystique où l’on priait pour la double restauration de la Compagnie de Jésus et de la monarchie française (1). De loin elle sermonnait son fils avec l'autorité de son titre et d’une affection survivant à tous les mécomptes. Elle reconnaissait volontiers lui devoir le pain de chaque jour, et était fière des services qu’elle lui voyait rendre au parti royaliste; elle lui parlait cependant à cœur ouvert, et n'épargnait pas plus l'homme privé que l'agent politique. Son principal grief était cette liaison affichée avec la Saint-Huberty, qu’elle ignorait être devenue une
(1) « Femme la plus intrigante qui existe au monde, écrivait (12 mars 179%) le vieux diplomate voltairien d’Azara, elle tient chez elle une espèce de club des émigrés les plus marquants, à la tête desquels s’est mis le nouveau cardinal Maury, auquel il ne manque rien pour pouvoir être déclaré fou. Ils ont appelé à leur secours le jésuitisme. » (Frouexr, Précis de mes opérations, etc., p. 121.)