Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
18 CHAPITRE PREMIER.
cueillit, dans des pages qui ont également disparu, ses dernières vues sur la politique et la religion. Rousseau n'épargna point au jeune gentilhomme les injustes soupcons dont il était coutumier envers ses meilleurs amis, et il lui prodigua les rebuffades comme les conseils; il refusa d'aller continuer auprès de lui, en Vivarais, les « rêveries d’un promeneur solitaire », mais il le reçut fréquemment dans sa mansarde de la rue Plâtrière, et lui donna, en signe d'amitié, un dessin de Lesueur représentant la mort de Socrate (1), en attendant qu’il lui léguàt quelques-uns de ses manuscrits, des traductions de Salluste et de Tacite et une suite du Contrat social. D’Antraigues lui offrit en retour un portrait où il était représenté sous le costume allégorique de Pygmalion. Peut-être avait-il interprété à Lyon, sur quelque théâtre de société, la scène lyrique de Rousseau intitulée Pygmalion, et voulut-il ainsi rappeler à l’auteur une circonstance qui avait décidé ou consacré leur amitié. Jusqu'à la fin de sa vie, dans un autre monde et sous l'empire d’autres opinions, il restera un admirateur indulgent de Rousseau ; il lui adressera mentalement l'apostrophe qui s’est trouvée un jour sous la plume de Robespierre : «Je t'ai vu dans tes derniers jours, et ce souvenir est pour moi la source d’une joie orgueilleuse (2). >
Rousseau venait d'écrire, dans ses Considérations sur
(1) Ce dessin, qui a passé en vente à Paris le 45 juin 1878, porte sur sa marge ces mots de la main de d’Antraigues : « Ce dessin de Lesueur m'a été donné le 1% mars 177% par J.-J. Rousseau, qui l’avait recu de Mgr le prince de Conti en 1770. » Rousseau le lui aurait offert en disant : « Ce dessin pourrait me donner l'envie d’en posséder d'autres, ce qui augmenterait mes besoins. »
(2) Hauwez, Histoire de Robespierre, 1. I, p- 22.