Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
VIE À PARIS ET EN PROVINCE (177€-1188). 33
accueillait les boutades de Chamfort, par l'indifférence. Il écrivit à l'ombrageux écrivain une lettre propre alla fois à le désarmer et à le confondre, et qui serait à citer tout entière. Il y mélait avec un art consommé les excuses et les lecons, les critiques et les hommages, ct concluait ainsi : « Il faut conserver le souvenir de ce qui nous plut dans l’un et l’autre, et ne plus nous voir... Veuillez n'avoir aucun regret de ce qui s’est passé entre nous. Veuillez croire qu'il n'existe pas un homme qui vous estime plus sincèrement que moi et qui ait autant désiré vous connaître, vous aimer et être aimé de vous. Le ciel ne l'a pas voulu; mais nous nous aimerons encore par nos ouvrages, et nous y retrouverons, je l'espère, avec de nouveaux motifs pour nous estimer, de nouveaux regrets de n'avoir pu nous aimer. Adieu, vertueux Saint-Pierre. »
Le « verlueux » Saint-Pierre ne tint pas devant ce tendre réquisitoire, et sa réponse, que nous n'avons pas, lui valut cette réplique, écrite au moment d'un départ pour le Vivarais : « À mon retour, je sens que mon cœur me ramènera où vous habitez (1).»
Se souvenant que son maitre avait écrit : « I n'ya plus que des Européens », d’Antraigues s’élait fait Européen par ses relations autant que par ses voyages. En Pologne, il avait connu le comte Séverin Potocki, qui vint à son tour le voir en Vivarais. A Montpellier, de tout temps rendez-vous d’une colonie anglaise, il avait pu admirer et peut-être courtiser la célèbre Gcorgina, duchesse de Devonshire. En Angleterre même, des sujets communs d'étude le mirent en correspondance avec
(1) D'Antraigues à Bernardin de Saint-Pierre, 23 janvier et 17 février 1789. (G. P.)