Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

32 CHAPITRE PREMIER.

avait accès le défenseur officieux de Mirabeau, et chercha à faire dénoncer à l’ordre des avocats l'acte arbitraire du garde des sceaux; mais il eut beau déployer le zèle qu'on eût pu attendre d'une amitié déjà ancienne, Mirabeau vit sa requête en appel rejetée, et, déclinant l'hospitalité qui lui était offerte en Vivarais, il estima prudent de gagner l'Angleterre. À son retour, trois ans après, il rendait à son nouvel ami ce témoignage qu'il lui devait en partie les consolations et la fin de son exil (1).

Parmi les magistrats, d'Antraigues cultivait surtout la société de Malesherbes, comme lui révolutionnaire en pensée, ami des livres et des études spéculatives. Malesherbes lui fit cadeau d'un manuscrit qu’il serait intéressant de connaître; c’étaient des réflexions, en dix cabiers in-folio, sur l'Esprit des lois, de Montesquieu; et plus tard, sous la Terreur, il lui envoyait à Venise et lui léguait, comme un héritage, ses papiers les plus précieux.

Dans le camp philosophique, d'Antraigues appelait Laharpe et Chamfort ses amis, et il était le bienvenu auprès de d’Alembert et du groupe des Encyclopédistes. Il se montra particulièrement empressé auprès de Bernardin de Saint-Pierre, comme lui un des derniers amis de Rousseau et un défenseur théorique des intérêts populaires. Mais ici encore il se trouvait en face d'un caractère difficile et défiant, et, bien qu'il eût offert à Bernardin un autographe et le portrait de leur maître commun, il l'entendit un jour accuser dans sa personne le « despotisme » des gens de qualité. Il lui en coûtait d'accueillir de telles récriminations comme Vaudreuil

(3) D’Antraigues à Mme Saint-Huberty, 16 avril 1784. (C. P.) — Mirabeau à d'Antraigues, 28 avril 1787 (dans l’Adresse à l’ordre de la noblesse de France, p. 4T, note).