Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
VIE À PARIS ET EN PROVINCE (1779-1788). 41
dans son fils la sécheresse du cœur et les écarts de la conduite : « De sang-froid, lui écrivait-elle encore longtemps après, quelle douceur goûtiez-vous à la Bastide? Vous n'y voyiez pas un homme de mérite; des ennuyeux et des bavards, une maîtresse fort sotte et bête, faisant l'impertinente, tourmentant vos domestiques et peut-être vous-même par ses prétentions (1).»
Cette Saint-Huberty rustique, qui remplissait l’interrègne de sa rivale parisienne, était une paysanne appelée Marianne André, « la belle Henriette », dit-on encore dans le pays. Son maître lui avait fait donner quelque éducation dans un pensionuat de Montélimar, puis l'avait installée à la Bastide en qualité de « lingère ». Elle s'asseyait à sa table, et avait carte blanche au chàteau. La renommée populaire, moins sévère envers elle que la dame de Laulagnet, affirme qu'elle usait au profit des vassaux de son influence sur le seigneur, et qu'elle était aimée de tous.
Vingt ans plus tard, dans son exil agité de Dresde, lorsqu'il songeait à ce temps de sa vie, d’Antraigues s’attendrissait volontiers : « Tout ce qu’il a vu, fait, aimé l'environne, disait-il en parlant de lui-même; il recommence sa vie en s'en occupant sans cesse... Ne croyez pas qu'il pense à Paris; cela ne lui arrive jamais. C'est en Vivarais, c'est sur ce pays qu’errent ses pensées, c'est là qu'est rivé son cœur. Il n’a aucun désir de le revoir par la certitude de n'y retrouver aucun habitant dont l'esprit lui plût, mais il aime à s’en occuper; et dès qu'il peut lui tomber sous la main un être de ce pays, il n’est
(1) Mme d'Antraigues mère à son fils, 48 février 1803. (A. F., France, vol. 633.) Cette lettre est la seule de Mme d’Antraigues qui se trouve aux Affaires étrangères; toutes les autres, au nombre de près de cent, sont à la Bibliothèque de Dijon.