Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues
82 CHAPITRE TROISIÈME.
I
PREMIÈRES INTRIGUES (1790-1792).
Le premier séjour de d’Antraigues à l'étranger fut une campagne, près de cette ville de Lausanne où le soin de sa santé l’avait amené déjà quinze ans auparavant. Il y demeura jusque vers la fin de 1790, et y régla de la façon la plus inattendue ses affaires domestiques.
A sa mère, alarmée de sa longue liaison avec la SaintHuberty, il avait dit un jour : « J'épouserai cette femme dès qu'elle sera suffisamment riche et pourra quitter le théâtre. » Or on ne lui payait plus ses cens, et les droits seigneuriaux étaient abolis sans indemnité : lui-même devenait pauvre. Il était sorti de France avec quelques centaines de louis, sans espoir de plus jamais recevoir un sol de ses vassaux affranchis. La Saint-Huberty, tout porte à le croire, mit à profit cette situation pour se faire donner un nom en échange de l’aisance matérielle qu’elle assurait à son amant. Elle alla le chercher, comme le rappelait plus tard avec amertume Mme d’Antraigues mère, et arriva à Lausanne en mai 1790.
La jalousie entrait peut-être aussi pour quelque chose dans cette démarche. Cette grande dame de Versailles, cette rivale qu’elle ne pouvait pas ignorer, venait de devenir veuve; Mme Saint-Huberty craignit-elle qu'on n'essayät de légitimer cette liaison par un mariage? Peutêtre prit-elle les devants, enlevant ainsi à la fois à son cavalier servant, et le mérite d'un retour au devoir, et le tort d’une suprême infidélité dont elle eût été victime. Tandis que la grande dame restait en France, l'actrice