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théâtralesl La brochure du festival vous parlera de thèmes comme l'ambiguïté et l'hypocrisie des acteurs et du théâtre, la dialectique entre la tradition, l'histoire et les sciences du théâtre. Termes réducteurs et trop vagues à la fois. En réalité, comme le souligne Ritsaert ten Cate, coordinateur amstellodamois du spectacle, toute explication ou définition d’une oeuvre comme celle-là y fait nécessairement obstacle... et on ne raconte pas une non-narration! Car avant toute chose, Le Pouvoir... est un acte, pas un discours; une image (Fabre est plasticien, même au théâtre), une vision peutêtre, mais pas une vue sur...; un temps, pas une histoire et sûrement une cérémonie, Jan Fabre ne nous conduit nulle part, ne nous propose rien. Il nous impose. Il joue de nous, sur nous, en stimulant deux ressorts essentiels et primaires: la fascination et l’exaspération. Pour ce faire, il établit en système une esthétique germanique de l’ordre et de la violence, de la symétrie parfaite, de la beauté glacée, par des procédés éprouvés, comme la répétition à outrance, la lenteur, la mécanisation du mouvement, la tension

presque imperceptiblement croissante, les ruptures soudaines. Et il est pratiquement impossible d’y résister: qu’on le veuille ou non, on craque. L’un en tentant la provocation à rebours, tel ce spectateur de la première qui, au énième déshabillage des acteurs, jeta ses propres vêtements sur scène, avant d’aller les y rechercher. L’autre en cherchant à toute force des références rassurantes, de Pina Bausch à Bob Wilson, en passant même par Peter Brook, Un autre ençore en quittant la salle à plus ou moins brève échéance, c’està-dire en refusant le combat. Ou, au contraire, en se laissant séduire et maintenir captivé (et captif) quatre heures durant. Car ce à quoi nous convie Fabre, c'est un combat singulier, une partie de bras-de-fer, où l'adversaire n’est pas forcément celui qu’on pense. Pourquoi me vient-il en mémoire l’image (inversée) d’une transe vaudou? Et si l’intention profonde du jeune Flamand était de nous pousser au bout de nos limites, au bord du vertige, là où le devient inévitable face-â-face avec nos démons familiers? Si c’était cela, le prix de la patience qu’il accorde à ceux qui restent jusqu’à la fin: un billet retour sur eux-

mêmes? Alors s'éclairciraient, peutêtre, à la fois l’esthétique et l’éthique de son (très grand) art, qui est d’ailleurs aussi de les confondre: nous hypnotiser, tout en démontant les rouages de ce conditionnement, pour nous amener à nous en défendre. User d’un totalitarisme formel contre un totalitarisme de l’esprit. Voie détournée, parcours labyrinthique, le jeu - que d’aucuns ont même qualifié de sado masochiste - est sans doute dangereux, au moins aléatoire: mais combien de messages théâtraux peuvent encore prétendre aujourd’hui nous confronter à de telles inquiétudes? Le Pouvoir des folies théâtrales porte bien en lui et sa puissance et sa déraison. C’est pourquoi, sans doute, le théâtre des Nations, version lorraine, n'en est pas encore revenu: lui qui, jusqu’ici, manquait tellement des deux! Sur la paresse des terrasses de la place Stanislas plane, ce matin; l’ombre d’un Flamand volant.ü Catherine Degan, Le Soir, 19, juin 1984

Le pouvoir des folies théâtrales Le festival de Nancy a vécu. Après 68, et sous la houlette de Jack Lang, il a drainé en France ce qui se faisait de plus neuf et percutant dans le monde (Bob Wilson, pour n’en citer qu’un). Puis le festival s’est étiolé, jusqu’à devenir, cette année, institutionnel et imaginaire, déconnecté de la ville, comme maintenu en vie artificiellement. On lui a donné une nouvelle directrice à poigne de fer. Mira Trailovic, internationale de l’Est, et un statut qui fut prestigieux, Théâtre des Nations: autant tenter de ranimer un cadavre. Le théâtre municipal ne faisait pas le plein, tant s'en faut, vendredi 15. Pourtant, si quelque chose s’est passé à Nancy, dans les premiers jours du festival, c’est bien dans ce théâtre. A l'affiche, le Pouvoir des folies théâtra-

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